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contribution 01 - SOREL Jean-Marc

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Introduction de séance

(Début de la séance : 9 h 05)
(Beginning : 9.05 am)

Jean-Marc SOREL

version originale

Bonjour. Nous allons entamer une nouvelle session.

Comme vous le voyez, je suis totalement isolé dans la solitude du pouvoir. J’ai donc ce matin un tout petit pouvoir qui est celui d’essayer de vous donner successivement la parole et d’une manière, si possible, ordonnée.

Alors, je souhaite vraiment en 10 secondes me présenter, parce que nous ne nous connaissons pas. Je suis Jean-Marc Sorel, je suis professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne en droit international, donc la même université qu’André Guichaoua, mais dans le domaine du droit.

Un de mes centres d’intérêt, c’est de me pencher sur la justice internationale, mais la justice internationale au sens assez large. J’ai par exemple l’occasion d’organiser tous les ans des journées d’études qui essayent de comparer les juridictions internationales pour dégager des modèles de procédure. Alors, ce n’est pas facile parce que nous comparons à la fois des juridictions pénales, mais également la Cour internationale, donc une juridiction interétatique, l’organe de règlement des différends de l’OMC ou encore les juridictions européennes. A partir de là, à partir des thèmes tels que la preuve, la motivation des juridictions, la saisine des juridictions, nous essayons de voir s’il existe un modèle procédural.

Si je vous dis ceci très rapidement, c’est simplement parce que cela fait dix ans que nous organisons ces journées, et lorsque nous abordons le thème de la justice pénale internationale, nous invitons toujours des juges ou des acteurs de cette justice. J’ai pu remarquer que nous n’avions jamais invité de personnes du Tribunal pénal international pour le Rwanda, toujours des personnes de la Cour pénale internationale, le Juge Jorda, par exemple, et d’autres ou des personnes du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie. Ca me semble déjà être symbolique de la place du Tribunal pour le Rwanda dans la manière dont on étudie les juridictions internationales. Le modèle reste : Cour pénal internationale et Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie.

C’est tout juste ce que je souhaitais dire. Je suis très heureux, je le dis sans flagornerie, d’être parmi vous, cela me permet justement d’apprendre beaucoup sur ce Tribunal.

Je ne vais pas le faire longuement, mais je souhaite très vivement remercier André Guichaoua qui est le maître d’œuvre de cette rencontre, une rencontre extrêmement originale pour nous. Ce n’est pas du tout le format d’un colloque habituel et on peut s’en réjouir. Comme ce n’est pas le format d’un colloque habituel, je n’aurais pas non plus un rôle habituel qui est l’intervenant universitaire armé de quelques grandes idées et de grands discours. Je vais au contraire immédiatement vous laisser la parole. Alors, selon quelle méthode ? Selon une méthode que j’ai un petit peu forgée moi-même.

J’ai lu attentivement les différentes fiches qui avaient été remises par certains d’entre vous, et j’ai essayé de dégager le thème qui est celui de cette matinée, c’est-à-dire le procès. Le procès en une matinée, c’est court. Donc, dans ce thème du procès, j’ai essayé de dégager ce qui apparaissait comme étant les points principaux, les points d’interrogation, les remarques importantes concernant ce procès. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que je vais insister sur ce qui me semble ne pas très bien fonctionner. Ce qui fonctionne bien, a priori, on en parle moins. Alors j’ai souhaité diviser mon propos en trois temps qui seront peut-être un peu bousculés selon la manière dont vous prendrez la parole, mais j’ai souhaité diviser ceci en trois temps : tout d’abord me pencher sur des difficultés procédurales particulières et qui ne sont pas très surprenantes, la question de la preuve, la question des témoins, le rôle des victimes etc., donc des questions plus précises.

Dans un deuxième temps, j’aimerais que l’on aborde la question plus générale qui me semble poser problème du rôle de la défense, peut-être les problèmes qui se posent autour de cette défense, peut-être aussi les problèmes de déontologie de cette défense, problèmes qui ont déjà été abordés hier qui me semblent importants.

Puis, dans un troisième temps, je ne vous surprendrai non plus pas parce que je l’avais dégagé avant ce colloque qui de plus a déjà été abordé hier. C’est la question du modèle procédural. Cela semble un grand thème.

En clair, quelle est la procédure que l’on utilise. Elle est un peu anglo-saxonne, elle est un petit peu de civil law, mais pas beaucoup. Bref, est-ce que, justement, c’est un modèle original ? Est-ce qu’il fonctionne bien ? Est-ce que cela pose des problèmes ? Et à ce moment-là, j’avoue que je me tournerai particulièrement vers les Juges qui, je pense, sont les plus à même, peut-être, de nous éclairer sur ces questions d’autant que j’ai remarqué que Madame la Vice-présidente Khan ou Madame la Juge Arrey avaient, dans leurs papiers, un petit peu insisté sur ces questions-là.

Je vais essayer également d’être un tout petit peu directif, c’est-à-dire qu’à chaque fois, pour amorcer une question, j’ai choisi un interlocuteur. Alors, si celui-ci ne souhaite pas répondre en premier, il peut me dire qu’il ne souhaite pas répondre. D’autres pourront, bien sûr, parler sur toutes les questions. C’est simplement pour amorcer un débat. À chaque fois, j’ai remarqué que certaines personnes s’intéressaient particulièrement à des questions.

Aujourd’hui, on va peut-être laisser un petit peu plus tranquille qu’hier, encore que ce n’est pas certain, la partie qui est à ma droite, c’est-à-dire la Bureau du Procureur. On va peut-être faire appel aux autres parties de la salle, bien évidemment aux Juges, au Greffe, aux journalistes mais également aux traducteurs et aux témoins, donc à toutes les personnes ici présentes.

Une dernière précision : je suis vraiment désolé, je vous présente toutes mes excuses. J’ai demandé l’autorisation à certaines personnes rwandaises ici présentes de les appeler par leur prénom, parce que j’ai une grande difficulté avec certains noms de famille. Vous ne m’en voudrez pas, ne pensez pas non plus qu’il s’agit de néocolonialisme, c’est simplement pour éviter d’écorcher les noms. Mais je les ai prévenus auparavant.

Alors, si vous le voulez bien, on va peut-être commencer par aborder des questions procédurales. Quand je dis « questions procédurales », c’est au sens assez large, les questions qui se posent durant le procès, et il s’en pose de nombreuses. J’ai remarqué dans le papier de Madame la Vice-présidente Khan qu’elle insistait beaucoup sur la longueur, la lourdeur, la complexité des procès. C’est donc le point de départ, et ça sera sans doute notre point d’arrivée sur le modèle de procès.

Mais il y a une première question que je me pose, c’est la question de l’administration de la preuve. Après tout, la matinée est appelée « Le procès : l’établissement de la preuve ». Alors, l’établissement de la preuve pour le procès, c’est bien sûr important mais ce n’est pas tout le procès. Alors, au sujet de cette administration de la preuve, il y a des questions qui me paraissent importantes.

Hier, on a parlé de la manière dont on allait chercher les preuves, les enquêteurs, les investigations, etc. Maintenant, je voudrais que l’on parle un petit peu de la manière dont on utilise la preuve au moment du procès.

J’ai envie à la fois de donner la parole à Damien Vandermeersch qui, dans son papier, insiste sur ce qu’il appelle la recherche du renseignement par rapport à l’utilisation éventuelle de ce renseignement comme étant une preuve qui peut servir pour un juge et donc qui peut servir au sein d’un procès. Il y a peut-être aussi une autre question qui m’est passée par l’esprit hier et qui m’a été rappelée ce matin par André Guichaoua, c’est la question de la preuve financière.

Ce qui s’est déroulé au Rwanda se déroule avec des moyens. On a parlé hier finalement des personnes qui avaient donné des ordres, qui avaient commis parfois, donc, ces actes de génocide. Mais malheureusement, peut-on dire, il n’y pas une infrastructure derrière ces actes. Donc, est-ce que dans ce domaine-là il y a eu recherche de preuve ? C’est une question que je me pose. Et est-ce qu’il y a eu effectivement des preuves qui ont pu être apportées et qui ont été utilisées ?

Mais peut-être s’il n’est pas contre, je vais tout d’abord donner la parole à Damien Vandermeersch sur cette question du passage de la preuve d’enquêtes à la preuve dans le procès, si l’on peut dire.