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contribution 02 - VANDERMEERSCH Damien

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Phase d’enquête - Production de la preuve

Damien VANDERMEERSCH

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Merci, Monsieur le Président.

Je suis Damien Vandermeersch, j’étais juge d’instruction dans « les affaires Rwanda » en Belgique. J’ai donc été appelé à travailler parallèlement avec les enquêteurs du Tribunal international avec, il faut le reconnaître, une procédure typique de civil law, avec un juge d’instruction qui s’est rendu sur place et qui dirigeait et organisait la récolte de la preuve. Parallèlement à cela, nous avons reçu beaucoup de demandes d’entraide judiciaire de la part du TPIR, donc des enquêteurs du TPIR, demandant également à récolter des preuves dans le cadre de l’entraide judiciaire.

Je voudrais, par rapport à la problématique de ce matin, soulever la difficulté de l’articulation entre l’enquête et le procès. Comme Silvana Arbia l’a bien rappelé hier, il y a deux phases : la phase d’investigation et la phase judiciaire de procès, et le lien entre ces deux phases doit être articulé.

Durant la première phase, celle durant laquelle on récolte les éléments pour voir s’il y avait matière à enquête, matière à procès, on a eu souvent l’impression que on fait surtout ce que j’appelle du renseignement. Le renseignement, c’est assez facile : c’est récolter tout ce qui se dit, tous les éléments, tout ce qui se raconte à propos de certains faits. C’est de l’ordre de la récolte. C’est très stimulant. Les enquêteurs qui faisaient du renseignement, ils revenaient avec des rapports truffés de renseignements. Mais on sait qu’en matière de terrorisme, on le constate aussi, on fait beaucoup de renseignement, mais lorsqu’il s’agit de judiciariser toutes ces informations, c’est vraiment une autre paire de manches.

En fait, le renseignement reste très fragile parce qu’il est de l’ordre de la récolte en première ligne mais de l’ordre de la cueillette unilatérale. Toute cette phase de renseignement n’est pas contrôlée, n’est pas contradictoire. J’ai envie même d’aller plus loin : le renseignement, est-ce autre chose que la rumeur ? Or, on sait très bien que la rumeur, on s’en méfie beaucoup surtout lorsqu’il s’agit d’apprécier en matière de preuve.

Ce renseignement, il faut reconnaître qu’il n’est pas utilisable en tant que tel au procès. Judiciairement, le renseignement n’a pas la valeur de preuve. La preuve, c’est vraiment d’un autre ordre. La preuve, c’est ce qui peut passer à travers l’épreuve de la contradiction. La preuve, c’est ce qui doit être contrôlé et soumis à la contradiction. Selon ce point de vue, se pose évidemment un problème. Alors que le renseignement n’a aucune valeur au niveau du procès, il s’avère souvent déterminant pour les orientations qui vont être prises au stade de l’enquête. C’est sur la base de ces renseignements qu’on va ouvrir un dossier, qu’on va éventuellement aller au procès. Je crois que je ne trahis pas des secrets en disant qu’il est arrivé plus d’une fois qu’au niveau du procès, la preuve, en fait, le renseignement se dégonflait totalement. Il fallait recommencer l’enquête, mais on fait alors ce qui aurait dû être fait bien avant.

Cette difficulté peut expliquer évidemment comment dans le procès, le Bureau du Procureur s’est peut-être trouvé des fois en difficulté mais aussi face à la nécessité de reprendre l’enquête au stade du procès.

En termes d’enseignement pour le futur : comment pourrait-on davantage valoriser judiciairement cette phase d’investigation mais également la rendre plus contradictoire et plus transparente ?

Une des propositions qu’on peut envisager, c’est évidemment un contrôle accru du procureur sur cette phase d’investigation, ne pas la laisser entièrement au niveau des enquêteurs. On pourrait envisager également de rendre cette phase plus contradictoire en permettant à la Défense de connaître dès ce stade les résultats des investigations. Ce qui frappe actuellement, c’est le manque de transparence de toute cette phase d’investigation. Qu’est-ce qui se passe dans cette phase d’investigation ? Qu’est-ce qu’on en fait ? Que deviennent ces rapports de contact avec les témoins ? Quelles incidences ils ont sur la suite de la procédure ? N’oublions pas que c’est à travers cette phase d’investigation que les premiers éléments sont recueillis. À ce stade, les enquêteurs ont un accès direct à ce qui constituera ultérieurement la preuve, par les contacts avec les futurs témoins. C’est pas sans incidence. On sait très bien que les contacts préalables qui peuvent s’établir avec les témoins influent sur le contenu du témoignage. Ils peuvent être très suggestifs. Et, de ce point de vue-là, je me pose vraiment la question : comment pourrait-on rendre cette phase d’investigation plus transparente, exercer un plus grand contrôle et comment permettre aussi que la Défense puisse exercer une plus grande contradiction par rapport à cette phase d’investigation ?

Voilà quelques réflexions que je voulais soumettre.

J.M. SOREL

Merci. Est-ce que quelqu’un souhaite intervenir sur cette question de l’utilisation de la preuve au moment du procès ? Aucun côté n’est intéressé par cette question ?

Alors, peut-être sur un autre problème, pas directement lié à l’administration de la preuve mais l’utilisation de certaines preuves, je me tournerai vers André Guichaoua concernant les questions que je qualifierai de financières.