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contribution 03 - GUICHAOUA André

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Phase d’enquête - Production de la preuve

André GUICHAOUA

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Je voudrais simplement donner un exemple précis qui prolonge ce que Damien Vandermeersch vient d’aborder puisque c’est dans le cadre du premier procès... des premiers procès à Bruxelles que j’avais été amené à traiter des dossiers financiers avec quand même des résultats importants. En effet, il avait été possible de démontrer que le financement des milices s’était fait sur des versements directs de sociétés publiques ou d’entreprises qui étaient véritablement ponctionnées, mises en cessation de paiement pour financer nominalement les responsables de l’état-major des milices Interahamwe. Ceci avait été rendu possible d’une part parce que dans l’entreprise de Butare, j’avais retrouvé un certain nombre de documents et surtout parce que le ministre de l’époque avait tous les matins contribué aux investigations de manière à ce qu’on aille trouver des preuves directement dans les banques.

C’est ainsi que chaque matin il téléphonait à untel ou untel... à la BACAR, à la BCR, à la Banque de Kigali, etc. Et quand j’y allais, je demandais à voir le compte de X, les chèques de X, le virement adressé à Z, etc. Ca avait permis de constituer un dossier qui était absolument extraordinaire sur les mouvements de fonds : tous les « grands » Interahamwe y étaient.

A ce moment-là, en mai 2001, j’avais proposé à la Procureure Carla Del Ponte qu’on élargisse cette démarche à d’autres sociétés et personnalités, et qu’on en profite pour remonter au plus haut niveau. Puisque, qu’on le veuille ou non, la preuve tangible, c’est quand même autre chose que les témoignages. On a ainsi recommencé de la même façon, et on a découvert, chaque jour une nouvelle découverte, que l’impunité était telle dans le domaine des malversations financières que tous les transferts de compte se faisaient directement sur les comptes personnels des dignitaires. Je ne citerai pas les noms, enfin, disons, parmi les principaux responsables, notamment du MRND et les patrons des milices, on pouvait retrouver des mouvements de fonds disons passionnants qui concernaient aussi des financements internationaux qui étaient détournés sur des comptes de X, Y, Z et autres.

Tous les jours, je ramenais au Procureur adjoint ces éléments, mais c’étaient des photocopies qui m’étaient données à titre informel. Je ne sais plus quand c’était, je crois que c’était en mai 2002, je pourrais le retrouver, on avait décidé de faire un courrier formel cette fois aux dirigeants des banques pour leur demander de bien vouloir nous transmettre : un, les documents originaux et certifiés de ce que j’avais en photocopie ; deux, l’accès à la transmission des documents des comptes des personnes.
Le jour même, un vent de panique a soufflé au niveau des directeurs des banques, la majorité étant de nationalité belge. Ils se sont réunis, et le soir, c’était « non ». On en a discuté, il y a eu des débats un peu épiques au niveau des autorités rwandaises, notamment avec le Ministre de la justice qui lui voulait absolument aller plus loin. Finalement, une réponse qui a été donnée, à savoir qu’il n’était pas question d’aller plus loin.

J’avais envoyé sur ce sujet un long courrier à la Procureure à l’époque. Des arguments ont été avancés, tels que « ces investigations compromettent la réconciliation nationale », tel que « les banques n’ont pas à être impliquées alors que »... Bref on a eu des raisons qui étaient totalement — excusez-moi — superficielles, purement politiques, qui à mon avis, sur le fond pour le dire un peu crûment, relevaient d’une seule explication : les fonds concernés avaient été transférés sur d’autres comptes….

Des courriers ont été adressés formellement au Ministre à l’époque, mais ces enquêtes se sont arrêtées là. C’était un vrai problème puisqu’il y avait là une occasion absolument unique de disposer de preuves sérieuses. D’autres enquêtes financières avaient été réalisées, des conteneurs entiers avaient été stockés dans la cour du TPIR à Kigali, mais elles se sont avérées d’une inutilité totale. Examiner la comptabilité publique pour retrouver des importations de machettes et coller ça dans un Acte d’accusation, excusez-moi, ce n’est pas très convaincant ni sérieux par rapport à un juge.

Mais cette fois, on avait vraiment des choses précises, des documents, des comptes en banque, des mouvements de fonds. Dans un environnement d’impunité totale, les gens se versaient de l’argent, les uns, les autres, c’était la distribution des prix, y compris surtout de la manne internationale. Je pense que l’existence de cette manne internationale a joué un très grand rôle dans le fait qu’on n’a pas pu accéder aux comptes. De notoriété publique, il y avait un des très gros projet qui était au centre des polémiques, c’était le projet GBK de la Banque mondiale qui a servi effectivement par mille et un canaux à redistribuer des sommes extrêmement importantes. Les enquêtes financières ont été un très grave échec du TPIR : la solidarité de la sphère financière nationale et internationale avec les anciens comme les nouveaux dirigeants fut totale.

J.M. SOREL

Merci beaucoup. C’est un aspect effectivement qu’on avait un petit peu ignoré hier mais qui est très important. Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite s’exprimer sur cette question ?
Madame Arbia ?