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contribution 10 - BIJU-DUVAL Jean-Marie

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Protection des témoins vs Publicité des débats

Jean-Marie BIJU-DUVAL

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Merci. Je m’appelle Jean-Marie Biju-Duval, je suis Avocat à Paris. J’ai eu l’occasion d’exercer au TPIR dans le procès des Médias, et j’interviens actuellement dans le cadre du dossier Lubanga devant la Cour pénale internationale également en défense. Puisqu’il est question de tirer les leçons d’une expérience, la transition des TPI à la CPI est évidemment importante.

Je voudrais intervenir à la suite de l’intervention de Madame Becky et de celle de Monsieur Stewart sur une question qui traverse beaucoup de domaines. Je veux parler de la question du secret.

La question du secret d’abord en relation avec les témoins et en relation avec la protection des témoins, c’est-à-dire la question du secret face à la preuve testimoniale. Cette question est aiguë et elle l’a été devant le TPIR. Elle l’est davantage devant la Cour pénale internationale aujourd’hui. En quel sens ?

Au sens où le souci de protection des témoins qui est absolument légitime a des conséquences extrêmement importantes sur le plan du déroulement du procès et du déroulement public du procès. En effet, la première mesure qui est prise, parfois la seule, pour protéger le témoin qui comparaît, c’est la dissimulation de son identité. Je ne parle pas de la dissimulation de l’identité du témoin de l’accusation, par exemple, vis-à-vis de la Défense. Non. La Défense est au courant de l’identité du témoin qui comparaît, sauf exception rarissime. Mais cette identité est dissimulée vis-à-vis du public, dans le souci de la protection du témoin.

Or, nous avons assisté au TPIR à une situation où la règle qui est la publicité du témoignage (avec un témoin qui témoigne sous son nom) est devenue l’exception. Cette dissimulation de l’identité du témoin par rapport au public est devenue une pratique courante. Elle l’est peut-être toujours mais j’ai quitté Arusha depuis plusieurs années maintenant. C’est aussi une pratique à la CPI et elle a atteint des proportions extrêmement préoccupantes.

Dans le premier procès devant la Cour pénale internationale qui a pour objet les poursuites contre Monsieur Thomas Lubanga, le procureur qui est en train d’achever la présentation de sa preuve aura fait citer une trentaine de témoins. Sur ces 30 témoins, seuls trois auront publiquement déposé, c’est-à-dire déposer en sorte que leur identité soit connue du public.

Alors, ce n’est pas simplement l’identité que l’on dissimule dans ces conditions-là, parce que obligation est faite aux parties de ne poser aucune question, de n’aborder publiquement aucun sujet qui puisse donner lieu à la révélation d’éléments qui, directement ou indirectement, puissent aboutir par déduction à l’identification du témoin. C’est-à-dire que concrètement, une proportion considérable des audiences, parfois la moitié de l’audience, parfois moins, parfois plus, se déroule à huis clos. Ce n’est donc pas simplement l’identité du témoin qui est masquée, c’est son témoignage qui est masqué parce que ce témoignage serait de nature à révéler son identité.

C’est une vraie question à aborder lorsqu’il s’agit de tirer les leçons de l’expérience passée pour la justice internationale d’aujourd’hui et de demain. Comment faire ? Je n’ai pas de réponse à apporter. Je voudrais simplement souligner à la fois l’urgence, l’importance et la difficulté de résoudre cette question. C’est-à-dire concilier à la fois la protection des témoins et préserver la publicité du procès. On arrive aujourd’hui à des procès qui ne peuvent être suivis que par ceux qui y participent directement dans la salle d’audience. Première observation. Je pense que François Roux prendra le relais sur la question de la preuve documentaire, peut-être. ? Non. Entendu.

Mais La question du secret traverse aussi la question de la preuve documentaire, et la question de la divulgation de la preuve documentaire à la Défense. Là aussi, place est accordée à la protection du secret légitime au regard de la protection des personnes, un secret qui serait légitime au regard de la protection d’intérêts, d’organisations internationales ou d’institutions étatiques ou les intérêts nationaux. Mais le secret, à mon sens, a pris une proportion telle que même en matière de la divulgation de la preuve testimoniale, on arrive d’abord à une sélection des documents présentés et divulgués. Ensuite, parmi les documents sélectionnés, présentés et divulgués , il y a la dissimulation, on parle d’expurgation aujourd’hui, de certains éléments d’informations contenus dans ces documents. Je veux simplement lancer ces questions qui me paraissaient essentielles en ce qui concerne la valeur d’une justice qui accorderait une place disproportionnée au secret dans sa mise en œuvre.

J.M. SOREL

Merci beaucoup pour la manière dont vous marquez ce particularisme important. J’ai beaucoup de demandes pour prendre la parole, donc je demanderai à chacun de ne pas être trop long. Monsieur Reyntjens d’abord.