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, contribution 08 - Cécile Aptel

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Cécile APTEL

Je tiens à mon tour à remercier les organisateurs pour m’avoir conviée à ce colloque qui est certainement exceptionnel et a bien des égards.

Pour rester dans le sujet de l’évaluation de la politique pénale qui a été et qui est celle du TPIR, je crois qu’il est important de remonter aux sources, de savoir pourquoi y a-t-il eu la création d’un Tribunal international au Rwanda dans la suite des crimes commis en 1994.

Et si on se souvient du contexte, à l’époque, le TPIR a été créé essentiellement pour deux raisons : d’une part, pour apporter une certaine neutralité ou indépendance afin de pouvoir juger des crimes commis au Rwanda ; mais d’autre part aussi, parce qu’il y avait un manque de capacité et de moyens au Rwanda. Et je voudrais revenir sur ces deux points, parce qu’ils me semblent en fait être importants pour appréhender les limites des poursuites pénales.

D’abord, la question de la neutralité et de l’impartialité. C’est effectivement les attributs d’une juridiction internationale, mais le revers de la médaille est qu’en prenant des procureurs et des enquêteurs internationaux comme vous l’avez indiqué, Monsieur Getti, on a des gens qui ne connaissent pas le contexte historique, sociologique, politique dans lequel ils vont enquêter. Cela a certainement été l’un des problèmes, non seulement, pour les premiers enquêteurs dépêchés sur le terrain — l’équipe de Néerlandais dont vous parliez —, mais aussi, je crois, c’est un problème pour les procureurs internationaux, y compris les procureurs en chef.

Quand on a des gens qui arrivent et qui ne connaissent pas nécessairement le contexte dans lequel ils vont devoir travailler, et qu’on leur demande d’identifier les plus hauts responsables, dans une situation donnée mais dans l’abstrait, comment sont-ils censés le faire ? Même dans un contexte qu’on connaît bien, ce n’est pas toujours facile de déterminer exactement qui sont les « gros poissons ».

Dans ce contexte, ce qu’ont fait les procureurs internationaux, ça a été d’essayer d’identifier ces cibles sur la base des sources qui existaient à l’époque. Et on a mentionné les rapports des ONG. Je crois qu’il est important aussi de mentionner les témoins experts et le rôle extraordinaire que les témoins experts ont joué en ce sens. Certains d’entre eux sont ici dans cette salle et, malheureusement,
Alison Des Forges qui a joué ce rôle n’est évidemment pas avec nous aujourd’hui, mais ces témoins experts ont joué un grand rôle pour guider et expliquer quel travail pouvait et devait être fait.

Je crois que c’est là le cœur un peu du problème, qui est qu’on a demandé aux procureurs internationaux de déterminer les plus hauts responsables hors de contexte, d’une part, ils sont guidés par les preuves qui leur sont fournies par leurs enquêteurs sur le terrain. Suivant une logique qui est d’essayer d’établir du bas vers le haut, de remonter les échelons de responsabilité, mais c’est bien long et peu efficace, comme on l’a vu.

D’autre part, les procureurs ont la volonté d’examiner du haut afin de déterminer des cibles individuelles. Mais comment le faire lorsqu’on ne connaît pas tous les détails d’un contexte pour comprendre qui étaient les plus hauts responsables ? Et c’est un peu là aussi l’ambiguïté entre la responsabilité pénale individuelle et la responsabilité plus politique qui est finalement ce qu’on attend aussi de ces tribunaux internationaux.

Lorsqu’on parle même de façon informelle du procès des Médias, du procès Gouvernement I, du procès Gouvernement II, est-ce qu’on ne va pas au-delà des responsabilités pénales individuelles pour chercher à établir des responsabilités plus politiques ?

S’agissant des moyens, si le TPIR a été créé pour pallier le manque de moyens, encore faut-il se demander : quels sont les moyens du TPIR et de son Procureur pour déterminer en amont sa politique pénale ? Sont-ils nécessairement plus étendus que ceux des juridictions nationales ? Pas nécessairement, car les Tribunaux internationaux et leurs procureurs ne disposent pas de force coercitive. Cela aussi influence la détermination de la politique pénale.

Rétrospectivement, on constate que les raisons qui ont justifié la création du TPIR — garanties de neutralité et apporter davantage de moyens — cherchaient aussi à permettre au Procureur d’établir
une politique pénale le plus librement possible. Or, on constate rétrospectivement que la marge de manœuvre du Procureur, sa marge de discrétion, ont été en fait limitées. Il est illusoire d’évaluer
la marge de discrétion du Procureur — qui lui permettrait de définir librement sa politique pénale — hors du contexte manqué non par le manque d’indépendance du procureur international mais par le manque de moyens pour ce procureur d’exercer son indépendance

Vous avez évoqué le fait qu’il n’y a pas de forces de police — il n’y a effectivement aucun moyen coercitif — qui sont directement données à ces procureurs internationaux qui se voient donc entièrement dépendants des États.

La communauté internationale en termes de moyens d’accès, d’arrestation, y compris donc des pays comme des Etats-Unis… Je fais partie des quelques personnes qui étaient dans la salle ce jour-là, mais je laisserai certainement à Pierre Prosper et à Carla Del Ponte, le fait de discuter des modalités exactes de la réunion. D’une part, ce recours à des moyens internationaux mais aussi bien évidemment, la collecte des preuves dans le pays directement concernés — c’est-à-dire le Rwanda —, et en ce sens, le fait que le TPIR ait dès le début établi son bureau des enquêtes à Kigali même l’ont mis dans une situation évidemment de dépendance par rapport au Rwanda. Situation aucunement comparable au Tribunal pour l’ex-Yougoslavie qui n’a jamais eu véritablement ses enquêteurs dépêchés sur place. Et c’est la même chose pour la CPI, on n’a pas de bureaux d’enquêtes qui sont directement dans
les pays concernés.

Le TPIR, par contre, a eu dès le départ non seulement un bureau mais des gens dont des enquêteurs qui pouvaient être soumis à des pressions mais qui aussi étaient face à des considérations de sécurité. Donc tout procureur international se retrouve avec une équipe et des responsabilités par rapport à cette équipe mais en même temps d’énorme manque de moyens.

Je crois qu’il faut donc faire un cadre du cercle. Rétrospectivement, on constate qu’il est illusoire, je dirais, d’examiner la marge de discrétion d’un procureur international et la définition d’une poursuite pénale si on examine cela hors du contexte qui est celui du manque, non d’indépendance, mais du manque des moyens d’avoir une indépendance pour les procureurs internationaux.