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, contribution 11 - Vincent Lurquin

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Vincent LURQUIN

Je vous remercie, Monsieur le Président.

V. Lurquin

J’ai demandé la parole parce que je ne voudrais pas que le Procureur s’habitue à ce qu’il puisse parler sans que les avocats ne lui répondent. Je serai bref puisque nous sommes assez d’accord avec ce qu’a dit Monsieur le professeur Reyntjens. Je ne reviendrai donc pas sur ce problème.

Je voudrais juste évoquer un problème plus sémantique. Certains Procureurs ont parlé d’un problème d’enquêtes et d’autres ont parlé d’un problème de thèse. Mais peut-on parler d’enquêtes et de thèse à la fois ?

Pour la théorie de la poursuite, je me suis souvenu, et Maître Karegyesa devrait s’en souvenir également, que le premier témoin de l’accusation qu’il m’a donné dans le procès Bagambiki était un enquêteur, Monsieur Paul Dorbie. Il nous avait dit, le 18 septembre 2000, le premier jour du procès, comment se faisait la poursuite.

Il nous a dit ceci : « D’abord, on a fait une enquête sur le terrain. Deuxième temps : on s’est rendu compte que, finalement, c’était toujours la même chose. Troisième temps : finalement, on a fait des procès groupés, parce qu’on s’est dit qu’il y avait toujours un ministre, qu’il y avait toujours un chef des autorités civiles, qu’il y avait toujours un chef des Interahamwe et qu’il y avait toujours un chef militaire. » Et dans le procès de Cyangugu, vous aviez le chef des militaires, un préfet, un ministre et, effectivement, le chef des Interahamwe.

Mais ça veut dire quoi ? Madame Arbia l’a dit très clairement. Elle a dit : « À un moment, on a eu un problème entre l’enquête et la poursuite. On n’a pas arrêté les gens parce que l’on avait même pas des preuves mais des indices de culpabilité, mais en fonction de leurs fonctions. » On les arrête d’abord et puis, on se dit : « Mais, mon Dieu, on va essayer de prouver non pas la vérité, mais la culpabilité. »

Je crois que c’est un des problèmes qui s’est posé dans ce Tribunal quant au fait que l’on est passé de l’enquête à la thèse, mais on n’a pas réussi à joindre les deux, avec comme conséquences également des problèmes quant à l’acte d’accusation. Comment voulez-vous avoir un acte d’accusation précis si l’enquête arrive après le moment où l’on rédige l’acte d’accusation, après le moment où l’on arrête la personne ?

Par rapport à ce qui a été dit précédemment sur le problème du Rwanda je crois donc que finalement, si l’on est passé à cette thèse sans enquête, c’est parce que quand on enquête, on enquête sur la totalité du territoire, on enquête par rapport à l’ensemble de la compétence ratione temporis et l’on n’enquête pas avec les yeux fermés pour une partie des crimes qui, effectivement, ont été avérés. Et la seule façon, effectivement, de ne pas faire en sorte que les gens du FPR soient également devant le Tribunal international, c’est de dire : ça ne cadre pas dans notre thèse, mais avec une thèse qui ressemble un peu effectivement aux cow-boy et aux indiens, aux bons et aux méchants et, je n’espère pas, aux Tutsis et aux Hutus.

Je crois qu’il y a un problème de cette sorte qui a contaminé le Tribunal et qui a fait en sorte qu’effectivement, nous avons aussi obtenu des acquittements par rapport à cela. Mais je crois que le problème de l’enquête, le problème pénal essentiel, c’est d’enquêter sur la vérité et de ne pas substituer effectivement une thèse à la réalité des choses.

Ce faisant, j’en terminerai par là, je crois aussi que les Honorables Juges ont été un peu pris en otage. Je me dis que le jour où il y avait ces comparutions initiales, les Juges devaient se dire : « Mais peut-être que cette fois-ci, on aura quelqu’un de l’autre camp, peut-être du camp des vainqueurs pour que l’on puisse dire que justice soit rendue, et pas leur soit rendue, uniquement aux vainqueurs. »