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, contribution 19 - François Roux

fr(VO)

François ROUX

Merci, Monsieur le Président. J’allais parler effectivement de la civil law pour rebondir sur ce qu’avait dit Monsieur Muna. Mais je ne pensais pas que la civil law pouvait être responsable de l’échec des enquêtes spéciales. Ça, c’est quand même une nouveauté, Monsieur Webster.

Deux points. Effectivement, tout d’abord, pour remercier Carla Del Ponte pour son langage aussi clair que possible. Heureusement que nous l’avons entendue. Pardonnez-moi, mes amis, mais ça nous a changés de certaines langues de bois que nous avons entendues depuis le début de l’après-midi.

Merci, Carla Del Ponte. Il est clair que si les enquêtes n’ont pas pu prospérer, c’est pour des raisons politiques. C’est bien le vrai problème. Affrontons-le.

Mais pardonnez-moi, Monsieur Webster, faisons preuve d’humilité. Parce que c’est notre lot, nous qui travaillons dans la justice pénale internationale, nous sommes toujours confrontés à des problèmes politiques.

Quand au Cambodge, le Premier Ministre actuel dit : « Je prie pour la faillite du Tribunal pénal international », nous sommes à nouveau dans des problèmes politiques. Mais comment pouvez-vous ajouter, après : « Nous avons fait un excellent travail » ? Mais non. Nous avons fait ce que nous pouvions. A la fin de la journée, la seule chose dont nous devrions faire preuve, c’est de beaucoup d’humilité. Il est clair que, puisque nous avons tous collectivement échoué à poursuivre les deux parties, nous ne pouvons pas prétendre que le Tribunal d’Arusha aura pu réellement ramener la réconciliation.

Malheureusement, parce qu’on n’a pas pu poursuivre à égalité les deux parties, on a alimenté les thèses révisionnistes et les thèses négationnistes.

Donc, ma seule réponse, c’est l’humilité.

Est-ce qu’on pouvait faire autrement ? Je ne sais pas. Quand le Bureau du Procureur est au Rwanda même, il est évident que le Tribunal est quelque part otage de cette situation. Mais regardons les choses en face, nous sommes entre nous, il n’y a pas de public, disons nous les choses ! Quand nous aurons tous terminé de travailler pour ce Tribunal, nous ne pourrons pas dire : « Nous avons fait un excellent travail ». Nous dirons : « Nous avons essayé de faire le mieux possible, avec les éléments que nous avions, les uns et les autres. » Mais c’est vraiment dommage pour la justice et pour la réconciliation.

Sur l’avion, nous n’allons pas rentrer dans une discussion juridique maintenant, mais, vous le savez, certains estiment que ça relève de la compétence du Tribunal, d’autres estiment que ça ne relève pas de la compétence du Tribunal. Si on lit l’article 4 du Statut du Tribunal au d), il est indiqué que le Tribunal est compétent pour les actes de terrorisme. Vous admettrez avec moi que certains peuvent légitimement estimer que cet attentat était un acte de terrorisme. Je ne vais pas plus loin, mais là aussi, ça veut dire qu’on n’a pas fait. Donc, modestie.

Je veux enfin terminer sur la question de la civil law. Je ne l’aborde pas telle que vous l’avez abordée, mais plutôt telle que l’a proposé Monsieur Muna. Je pense qu’effectivement la civil law, dans certains de ses aspects améliorés, pourrait être une solution intéressante.

Je me réfère à ce qui se passe actuellement devant le Tribunal du Cambodge où nous sommes, en principe, totalement, cette fois-ci, dans la civil law. Nous avons des co-juges d’instruction. Effectivement, le premier dossier est arrivé à l’audience de jugement après un an et demi d’instruction chez des co-juges d’instruction. Ce qui est quand même, vous l’admettrez, relativement rapide pour 12 380 crimes.

C’est peut-être, effectivement, un des systèmes qu’il faut continuer à explorer au niveau de la justice internationale. Ce n’est pas un système parfait, je ne pense pas non plus que le système common law pur soit un système parfait en matière internationale, pour une raison très simple que je veux encore une fois évoquer. Le système de la common law fonctionne peut-être très bien, et encore dans des juridictions nationales, mais si ce système de preuve consistant à communiquer des dizaines, voire des milliers de documents, demeure possible quand les Anglais parlent aux Anglais ou quand les Américains parlent aux Américains, ça donne des catastrophes dans une juridiction internationale où tout doit être traduit — pour le Cambodge, par exemple — en trois langues. Ça a donné des catastrophes dans notre Tribunal d’Arusha.

Alors, il y a incontestablement des améliorations à trouver. On a cherché depuis longtemps à croiser, à prendre dans chacun des systèmes le meilleur des deux systèmes. Continuons à aller dans cette voie. Mais peut-être que justement la civil law a des choses à nous apporter pour les procès in abstensia, pour l’accueil des victimes. Encore que là, nous en parlerons, les parties civiles posent maintenant un autre problème que nous n’avions pas totalement envisagé, il faut le reconnaître. Ce n’est pas simple. Mais c’est incontestablement un progrès que nous devons faire, et quand nous en terminerons du bilan d’Arusha, nous devrons aussi admettre que nous n’avons pas été bons pour les victimes.

J’en termine par là. Mais, vraiment, s’il vous plaît, restons humbles.