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contribution 25 - GUICHAOUA André

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Qui poursuivre ? - Témoins

André GUICHAOUA

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Je voudrais revenir en élargissant un peu la question sur la politique de la poursuite. Il a quand même existé à partir de 2001, 2002, 2003, des listes qui ont eu divers noms dans lesquelles figuraient 200 à 300, même une fois 340 et quelques noms de personnes susceptibles d’être poursuivies.

La question que je me pose aujourd’hui est la suivante : un certain nombre de personnes, au moment de cette effervescence, avaient décidé non pas de se livrer, mais en tout cas de se laisser arrêter en se disant que la frénésie étant telle qu’elles n’y échapperaient pas.

Au regard du bilan d’aujourd’hui, c’est-à-dire 90 personnes poursuivies, la question que je me pose est banale : est-ce que les 250 autres, en fait, ont gagné ? Ceux qui ont été arrêtés sont-ils simplement ceux qui étaient le plus faciles à arrêter parce qu’ils ne se sont pas dissimulés ou cachés ?

Je rajouterais encore une autre chose : est-ce que, finalement, la stratégie d’arrestation n’a pas été au-delà des critères politiques dictée par la détermination des dénonciateurs ? Je vais donner des exemples. Que ce soit en France, que ce soit en Belgique, ou ailleurs, on a un certain nombre de personnes qui sont sur ces fameuses listes et sur lesquelles tout le monde sait, en tout cas au niveau du Bureau du Procureur, que des charges lourdes existaient. Ces dossiers sont à l’heure actuelle abandonnés. Pour quelle raison ?

J’avoue que dans certains métros ou certaines rues, des fois, je croise des gens et je me dis : « Demain, on me dira : mais c’est le Blanc, là, qui t’as dénoncé. » Excusez moi. C’est une réponse à celui qui disait que certains témoins ont guidé le bureau du procureur.
Ces gens quand ils sont arrivés, tout le monde savait qu’ils avaient des dossiers lourds. Mais récemment il m’a quand même été dit au niveau d’un ministère : « Mais vous ne vous rendez pas compte, peut-on reconnaître qu’il y a chez nous de vrais criminels », c’est-à-dire des personnes qui ont elles-mêmes tué.

Il y a un autre point sur lequel je voudrais revenir. C’est du même ordre que le dossier de la fameuse famille présidentielle. Ça, ce n’est pas confidentiel.
Quand l’un des membres a été arrêté en Europe, je me rappelle que le soir même, j’ai passé un coup de téléphone au Ministre de la justice à Kigali, il m’a dit : « Mais on n’a pas l’ombre d’un dossier. » Quand j’ai passé, juste après, le même coup de téléphone à Arusha, on m’a dit : « Mais il n’y a pas l’ombre d’un dossier. » Il a fallu alors laisser la personne deux ou trois mois dans un centre de transit le temps de constituer un dossier.
Il y a eu un problème similaire avec la sœur lorsque son dossier est passé devant la CRR, la Commission de recours des réfugiés en France. Il avait pourtant été très clairement dit que si la CRR la déboutait, le TPIR prendrait le relais avec ses propres charges. La CRR a rendu sa décision en s’appuyant sur des éléments à charge d’Arusha. A Arusha, il a été dit que c’était la CRR qui les avait, et il ne s’est plus rien passé ensuite sur le dossier de la dame en question.

Or, le Jugement Bagosora dit quand même que l’intéressé n’est pas le cerveau. S’il n’est pas « le cerveau », c’est qu’il est un maître d’ouvrage délégué, c’est-à-dire qu’il y avait un donneur d’ordre. Le donneur d’ordre, qui est-il ? Où est-il ? Faut-il la nommer ? Pourquoi ne l’est-elle pas ?
Voilà. Il y a d’autres membres de la famille proche. Il y en a un qui, depuis quinze ans, court, qui est soi-disant l’homme le plus recherché de la planète. Excusez-moi, dans l’état physique où il est, si on voulait le trouver, on ne devrait quand même pas faire de grands efforts pour y arriver.
On pourrait continuer sur beaucoup d’autres dossiers comme ceux-là.

La conclusion signifie que la justice ne juge pas n’importe qui. Il faut d’abord se demander comment on « produit » un accusé. La production d’un accusé, moi, j’en viendrais à dire ce que nous disons dans nos disciplines des sciences sociales : ce n’est jamais le crime qui fait le criminel, c’est celui qui le dénonce, c’est celui qui instruit le dossier et c’est que celui qui veut bien le juger. Ça ne veut pas dire que d‘autres ne sont pas des criminels, mais on ne devient un criminel qu’à partir du moment où on est rentré dans une procédure qui va faire de vous un criminel.

Je voulais donc, simplement insister sur ces éléments de sélection et les interrogations que l’on ne peut manquer de se poser. C’est cette impression non pas d’une loterie, mais le fait que dans la distribution des prix, il y a des gens qui sont sur la photo et d’autres non. On peut donc se demander si « l’acharnement » de ceux qui les ont dénoncés ou qui les ont livrés d’une manière ou d’une autre, n’a pas été finalement le critère principal du fait qu’ils figurent désormais parmi les condamnés.
Merci beaucoup.

J.P. GETTI

Il est 17 h 25, nous arrivons au terme de cet après-midi. Monsieur Reyntjens voulait encore intervenir.