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contribution 4 - BYRON Dennis C. M.

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M. LE JUGE BYRON :

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Merci infiniment, Monsieur le Président.
Excellence, Honorables Juges, Monsieur le Procureur, Monsieur le Greffier, Honorables Professeurs, Mesdames et Messieurs les Journalistes, Mesdames et Messieurs, Chers Participants.

Je dois dire que c’est pour moi un grand plaisir d’être ici, à Genève, où le climat est merveilleux, et je crois qu’on peut dire que nous avons eu de bons débuts dans nos travaux.

Je voudrais tout d’abord adresser tous mes remerciements à l’endroit du gouvernement suisse, Professeur Burrin, Professeur Flour, ainsi qu’à tous vos collègues appartenant aux institutions universitaires organisatrices, ainsi qu’aux anciens collègues du TPIR ici présents, qui ont été impliqués dans la planification de ce colloque pour nous avoir permis de nous retrouver ici, à Genève, pendant trois jours, pour prendre le temps de réfléchir sur les réalisations du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

J’ai constaté que les sessions ont été planifiées de telle sorte que l’on m’avait alloué 90 minutes, mais je n’en ai pas besoin. Je ne sais pas si nous allons finir plus tôt ou si cela veut dire que nous allons avoir une séance de questions-réponses jusqu’à la pause déjeuner, mais je pense que je ne vais pas prendre plus de 30 minutes dans la présentation que je ferai ce matin.

Bien entendu, il aurait été très aisé de parler des difficultés et des frustrations que le Tribunal a rencontrées et des différents écueils que se sont dressés sur notre route. Mais je pense que, dans toute évaluation que l’on va faire de notre travail, il faudrait que cela se fasse dans le contexte de nos acquis au cours de cette histoire de 15 ans et à la lumière des progrès extraordinaires de la justice pénale internationale au cours de ce 21e siècle.

Quinze ans c’est, à vrai dire, une longue période pour qu’une victime rwandaise attende que la justice lui soit rendue. Néanmoins, c’est un espace très court dans l’évolution des règles internationales et de la responsabilité individuelle par rapport aux violations graves et sérieuses d’atteinte.

Il ne faudrait pas que l’on oublie que le Tribunal a été créé après la deuxième guerre mondiale. L’horreur de l’Holocauste a inspiré la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention sur le génocide et la Convention de Genève de 1948. Ces documents ont servi de phares, de guides, de symboles qui ont permis aux États d’engager leur responsabilité juridique pour faire en sorte que plus jamais cela ne se répète. Et au fil de l’histoire, comme nous l’avons tous remarqué et constaté, cet espoir que « plus jamais ça » est devenu une réalité. Plus que jamais.

Après la deuxième guerre mondiale, les atrocités se sont poursuivies à un rythme effarant. Des centaines de milliers de victimes au Soudan, au Vietnam, en Indonésie, en Ouganda, en Angola, au Cambodge, etc. — la liste est très longue — ont été terribles, et ceci s’est propagé sur toute la planète. L’on a calculé qu’au cours du 20e siècle, 262 millions de personnes ont été tuées pour des raisons politiques, par ou avec l’approbation de leur propre gouvernement.

C’est donc le contexte dans lequel nous fonctionnons et la raison pour laquelle nous nous sommes engagés corps et âme dans ce travail.

Les procès de Nuremberg ont servi de précédents et l’on s’y réfère toujours aujourd’hui dans notre jurisprudence. Mais l’évolution du droit pénal international et humanitaire s’est accrue au cours de la deuxième partie du siècle. En dehors des applications de la Convention de 1988 pour poursuivre et punir les crimes graves, la responsabilité incombe toujours aux États et non pas aux personnes prises individuellement.

Mais le Conseil de sécurité, débarrassé des vestiges de la guerre froide, a créé des tribunaux pénaux internationaux, tout d’abord en 1983 dans l’ancienne Yougoslavie et en 1994 pour le Rwanda.

Le Conseil a estimé que les conflits menaçaient la paix et la sécurité internationale et a dès lors décidé, au titre du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, qu’un moyen de restaurer la paix était de créer des tribunaux judiciaires pour poursuivre les auteurs les plus importants des crimes les plus graves.

Bien entendu, vous connaissez tous ces événements. Néanmoins, l’on ne devrait pas oublier qu’ils constituent une étape très importante. La création de ces tribunaux a donné le signal que le pouvoir judiciaire et l’application de la loi étaient nécessaires pour restaurer la paix, mettre un terme à l’impunité et reconstruire des sociétés après conflit. Car pendant trop longtemps, les institutions judiciaires ont été ignorées dans ce processus, et même aujourd’hui, au moment où je vous parle, le débat sur les choix allégués entre la paix et la justice continue de plus belle. Je n’en veux pour preuve que de mentionner l’implication du Président Al-Bachir dans les événements cruels intervenus au Soudan.

Néanmoins, nous devrions savoir que, pour de nombreuses victimes, le lien entre la justice et la paix semble être encore plus évident que pour les politiciens. Dans une enquête récente menée en République démocratique du Congo, 82 % des 3 700 survivants de guerre qui ont été sondés ont déclaré que la responsabilité pour les crimes de guerre était une étape essentielle pour la restauration de la paix.

Les Résolutions 95 et 94 du Conseil de sécurité ont institué ce Tribunal comme un organe de justice auquel un mandat unique avait été confié, notamment d’aider à restaurer et à maintenir la paix, mais aussi de permettre la réconciliation nationale pour pouvoir déboucher sur des objectifs politiques encore plus larges.

Il est également remarquable que le Conseil de sécurité ait trouvé qu’il avait le pouvoir de réagir à un conflit interne. Ceci mérite d’être noté dans le contexte de l’évolution fluctuante des conflits armés, et ce depuis la deuxième guerre mondiale.

Une étude récente a conclu que les conflits internes constituent plus de 95 % des conflits à l’échelle mondiale. Et comme corollaire, la nature des hostilités a changé, passant des conventions terrestres armées à des forces militaires mal formées ; les fatalités civiles se sont accrues de 5 % par rapport au début du siècle et représentent aujourd’hui plus de 90 % dans les guerres qui ont été faites au cours des années 90.

Je vous cite ces statistiques pour prouver que c’est par le travail du TPIR, par exemple, que les règlements concernant le droit pénal humanitaire et international pourraient répondre aux conflits et aux victimes qu’ils auront engendrés.

La communauté internationale maintient toujours que la souveraineté des États est inviolable. Néanmoins, les atrocités commises à nos frontières méritent d’être punies et le droit pénal international et humanitaire serait, autrement, sans objectif réel.

Après avoir rappelé la création du Tribunal et le mandat ambitieux qui lui a été créé, nous aurons, au cours des trois jours à venir, l’occasion d’évaluer les succès et les échecs du Tribunal sur les dernières années.

Pour ma part, je mettrais notamment l’accent sur le fait que les institutions judiciaires internationales sont de plus en plus acceptées et deviennent de plus en plus légitimes, car elles ont répondu aux attentes que l’on attendait d’elles avec beaucoup de sérieux et d’intégrité. C’est quelque chose de notoire si l’on tient compte de l’environnement politique dans lequel le tribunal ad hoc fonctionne.

En dépit du fait que ces tribunaux ont été créés par le Conseil de sécurité et doivent lui faire rapport tous les six mois, et doivent faire rapport chaque année à l’Assemblée générale quant aux résultats qu’ils ont obtenus dans l’accomplissement de leurs tâches, le financement des États membres n’est pas toujours suivi des faits ; et en dépit de la dépendance de ces tribunaux aux États membres pour pouvoir survivre et pouvoir dispenser le droit et faire appliquer les mesures prises, ces tribunaux sont devenus des organes judiciaires pleinement indépendants et autonomes.

Les Juges ont fait le travail judiciaire de la même manière que le font leurs pairs dans les juridictions nationales. Les Juges sont en charge de la police de l’audience pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de politique. Ils se sont élevés lorsque les choses n’ont pas été prouvées au-delà de tout doute raisonnable. Ils ont exprimé des inquiétudes quant aux procès équitables au Rwanda, ce qui a entraîné une refonte du système judiciaire au niveau du Rwanda. Ils ont refusé de se plier à l’exigence de la stratégie d’achèvement des travaux et n’ont jamais fait de compromis sur les droits des accusés.

En jetant un regard sur ce qui s’est fait, l’on doit se rappeler que lorsque le Tribunal a été porté sur les fonds baptismaux, il s’agissait bien plus, en dehors du fait de créer des salles d’audience, de mettre sur pied des stratégies pour faire des enquêtes, pour s’assurer de la sécurité des gens qui travaillaient au niveau des institutions pénitentiaires.

Pour permettre l’impartialité et pour être objectif de manière pratique, le Tribunal a eu pour siège Arusha. L’éloignement par rapport au Rwanda a été critiqué, mais il faudrait que l’on ait à l’esprit ce qu’était le Rwanda lorsque la Résolution du Conseil de sécurité no 95 a été adoptée.

Très peu de membres du personnel judiciaire au niveau national ont survécu au génocide ; l’impunité régnait. Et 14 ans plus tard, en 2008, les différentes Chambres de première instance et la Chambre d’appel se souciaient de la protection adéquate des témoins à décharge, et une localité neutre était la seule option viable. Le gouvernement rwandais, lui-même, avait l’espoir explicite qu’un organe international éviterait toute suspicion dans l’organisation d’une justice internationale, comme le Représentant du Rwanda au Conseil de sécurité l’a dit lors des discussions qui ont précédé l’adoption de la résolution portant création du Tribunal.

Avec des infrastructures rudimentaires, sans bureau, sans équipements de bureau réels, les premiers Juges ont adopté le Règlement de procédure et de preuve pour permettre aux travaux du Tribunal de démarrer.

La regrettée Alison Des Forges fera l’objet d’une séance particulière au cours de laquelle nous ferons son éloge. Elle a dit que — et je la cite : « En raison des difficultés administratives et matérielles, au début, le Tribunal n’avait pas la force pour poursuivre les travaux d’enquête et de poursuivre les auteurs du génocide qui représentaient au moins un demi million. » Fin de citation.

Néanmoins, vers la fin de 1999, le Tribunal avait déjà eu cinq jugements. Et tout ceci devait faire en sorte que l’on n’oublie pas la dépendance du Tribunal des États membres pour pouvoir survivre et mener à bien sa mission. Cette coopération a connu un succès général et le Conseil de sécurité n’a jamais eu à utiliser la force ou la contrainte à l’endroit du Tribunal.

Les gens ont été arrêtés et transférés au Tribunal à partir de 26 pays en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Sept pays ont noué des accords avec le Tribunal permettant aux condamnés de purger leur peine dans leurs infrastructures carcérales. Tout ceci doit être pris en compte en évaluant le coût et la vitesse à laquelle le Tribunal a fait son travail.

Avec tout le respect que je vous dois, j’ai une perception légèrement différente de celle exprimée par son Excellence l’Ambassadeur Dahinden car j’ai, pour ma part, considéré que, comparés à de nombreuses juridictions nationales, les coûts par accusé n’ont pas été excessifs.

Prenons, par exemple, le coût impliqué dans le procès de Lockerbie ou dans le cas des bombardements d’Oklahoma. Des coûts ont été engagés au niveau des budgets nationaux, certes, mais nos coûts ont été estimés à 10 millions de dollars en moyenne par accusé, alors que dans le cadre du procès d’Oklahoma, les estimations s’élevaient à 20 millions de dollars par accusé ; pour le procès Lockerbie, 75 millions de dollars pour les deux accusés.

Je pense que les défis juridiques auxquels nous avons eu à faire face étaient plus importants que les difficultés logistiques et matérielles que nous avons rencontrées. La plupart de nos activités étaient des activités que l’on menait pour la toute première fois. Personne n’avait appliqué ces conventions. Les règles juridiques substantielles, le Tribunal a dû les appliquer en tenant compte de la common law et de la civil law, avec des juges, des procureurs émanant de systèmes les plus divers possible. Nous avons tenu compte des considérations élémentaires de l’humanité par lesquelles, sous l’article 3 commun de la Convention de Genève, nous avons pu faire en sorte que ces dispositions humanitaires générales soient appliquées de manière réelle.

La jurisprudence du Tribunal pénal international pour le Rwanda valide la conviction que des atrocités ne peuvent être commises dans l’espace territorial national en toute impunité. Nous savons que de nombreux procès ont été finalisés et d’autres sont en cours, y compris celui du Premier Ministre, de préfets, de bourgmestres, de hauts fonctionnaires rwandais, d’hommes d’affaires, de dirigeants des Interahamwe, de militaires de haut rang, de représentants des médias, de docteurs, de membres du clergé. En résumé, le Tribunal a pu juger toutes ces personnes coupables de tous ces actes criminels.

Le Tribunal a essayé d’appliquer la justice et de la rendre à ceux qui semblaient être les plus démunis, les plus faibles. Comme je vous l’ai déjà dit, les civils représentent 90 % des morts survenus après des guerres, et la plupart de ces personnes sont des femmes et des enfants. Comme la Division des Nations Unies pour le progrès de la cause des femmes l’a dit en 1998 : « Les femmes et les enfants étaient les victimes de violations massives des droits de l’homme lors des conflits armés, et avaient à faire face aux risques particuliers de viols et de violences sexuelles, y compris des viols systématiques. »

Ces statistiques terribles étaient tout aussi vraies et valables au Rwanda. Lorsque les enquêteurs ont ouvert des charniers, ils sont rendus compte que la plupart des victimes étaient des femmes et des enfants. La guerre intervenue au Rwanda en 1994 était le plus grand infanticide que l’on ait connu au monde. Le Tribunal a dû, donc, faire face à ces brutalités réelles et, dès lors, on ne devrait pas sous-estimer ses réalisations.

Dans le Jugement Akayesu, le viol a été défini pour la première fois au niveau du droit international, et l’accusé a été reconnu coupable de viol en tant qu’instrument de génocide et en tant que crime contre l’humanité.

Encore une fois, je cite la Division des Nations Unies pour l’avancement de la cause des femmes, en faisant des commentaires sur le procès de Jean-Paul Akayesu, maire de Taba — et je cite : « En faisant en sorte que le viol fasse partie des crimes de génocide, le Tribunal a fait avancer le traitement mondial du viol et des violences sexuelles et a entamé un processus très long de renverser le climat d’impunité des crimes de nature sexuelle qui ont été commis au cours des guerres. »

Les violences sexuelles telles que l’esclavage sexuel ont été prises en compte dans le Statut de Rome et dans le Statut portant création du Tribunal spécial du Rwanda. Tout ceci aurait été impensable, inimaginable sans le Jugement Akayesu.

Il y a eu de nombreuses autres réalisations. Je mentionnerais seulement brièvement les faits suivants : la première condamnation pour génocide a été rendue par le Tribunal. La Chambre d’appel du Rwanda a conclu que le génocide était dû à un fait commun. Nous avons rendu justice aux victimes et avons permis aux accusés d’avoir des procès justes et équitables. Nous avons un personnel dévoué qui, pendant de longues heures, traite de sujets abstraits et difficiles et, le plus souvent, dans des conditions de travail adverses.

Nos travaux sont suivis par les États et par d’autres parties, et c’est donc là un legs sur lequel l’on devrait aller de l’avant. Si l’on veut changer et mettre en cause les statistiques d’horreur, il faudrait que l’on ait des règles qui soient appliquées à tous les niveaux — au niveau des États, au niveau des personnes individuelles, pour les rendre responsables des actes qu’ils ont commis. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra lutter contre l’impunité au niveau mondial.

Nos réalisations sont encourageantes, mais elles sont loin d’être terminées. Lors du sommet des Nations Unies sur le Millenium, quelque 40 instruments juridiques ont été signés, ratifiés par quelque 84 nations ; les États membres des Nations Unies ont décidé de renforcer le droit au niveau du droit international comme du droit national.

Les actes de responsabilité liés aux États ou à des personnes physiques ont fait en sorte que nous avons pris des mesures pour protéger les citoyens, les non citoyens, et, au cours des périodes de guerre, ceux qui n’étaient pas impliqués dans les combats, pour faire en sorte que toutes ces personnes soient protégées. En réalité, nous avons pris des mesures pour protéger la race humaine.
Cependant, tout ceci n’est pas suffisant ou, tout simplement, d’évoquer les réalisations du Tribunal. Il faudrait que dans le cadre d’un forum, on puisse prendre les mesures pour définir la responsabilité individuelle de leurs auteurs et prendre des mesures contraignantes qui pourront faire avancer la cause et nous permettre de nous tourner vers l’avenir en étant certains que, plus jamais, les gens ne commettront de crimes contre la race humaine.

Pour terminer, examinons les objectifs du Tribunal en tant que contribution à la réconciliation nationale.

L’impact réel du Tribunal pénal sur la réconciliation au Rwanda ne pourra être évalué que lorsqu’on aura achevé notre mandat et lorsqu’on aura acquis beaucoup plus d’expérience avec d’autres mécanismes, avec, par exemple, les procédures de type Gacaca.

Le gouvernement rwandais pense qu’en 1994, l’on ne pouvait pas mettre sur pied un état de droit qui permettrait une réconciliation nationale réelle si la culture d’impunité continuait à prévaloir. Donc, en évaluant les travaux du TPIR, il ne faudrait jamais que l’on oublie qu’un système judiciaire, quelle que soit son importance, n’est qu’un morceau du tissu complexe qui consiste à réconcilier des gens au Rwanda, où les rescapés et les auteurs sont forcés à continuer de vivre ensemble dans une proximité réelle.

La résolution portant création du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie en 1993 disait que la justice doit poursuivre les criminels, même si ces derniers cherchent à ne pas faire face à leurs responsabilités. Mais la réconciliation est beaucoup plus difficile, et elle n’est possible que si et seulement si les criminels se repentent et font preuve de remords.

La réconciliation requiert également la recherche de la vérité. Le Tribunal n’est pas une commission d’enquête, les juges ne sont pas des historiens. Le but d’un procès pénal, c’est d’établir la responsabilité pénale et non pas de faire l’historique du conflit. Mais le Tribunal permet aux victimes de se faire entendre.

Avec les archives que nous avons pu mettre sur pied au titre de ces crimes de génocide, ils se sont rendu compte que les auteurs ne pouvaient plus éviter d’être poursuivis. Ainsi donc, personne ne pourrait et ne devrait plus avoir une approche négationniste.

Le Tribunal a pu maintenir la paix par le biais de ses programmes sur le terrain pour permettre aux Rwandais de se comprendre et d’avoir confiance dans le système judiciaire.

J’imagine qu’aujourd’hui, nous conviendrons tous que ces programmes au niveau du Rwanda auraient dû commencer bien avant et de manière beaucoup plus intense. Néanmoins, nous avons tiré des enseignements importants : des centres d’informations ont été ouverts sur toute l’étendue du territoire national, avec des bibliothèques qui sont fréquentées par des avocats, des juristes, des étudiants, des journalistes, des fonctionnaires et des membres du public ; les jugements sont retransmis en direct en kinyarwanda ; nous avons des ateliers de sensibilisation qui sont organisés de manière systématique partout au Rwanda.

Tout ceci contribue, certes, à la réconciliation. Néanmoins, le système pénal qui a été créé au Tribunal utilise, dans de nombreux aspects, des exemples qui pourraient permettre aux rescapés du génocide de mieux comprendre ce que nous faisons, par exemple, le niveau de qualité du quartier pénitentiaire, avec un bon encadrement médical et le droit à des visites de leurs conjoints.

Dans une certaine mesure les conflits entre les normes internationales et la réalité de la vie des rescapés sont impossible à éviter. Mais l’alternative, le fait de faire des compromis sur les normes du Tribunal, serait considérée comme intolérable. Des progrès sont à faire pour, justement, fournir un encadrement médical aux témoins qui vivent avec le VIH, et ceci permettrait d’atténuer quelque peu ce conflit d’intérêts.

Pour conclure, ce que l’ancien commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’homme, Roger Ayala Lasso, a dit en 1994 demeure aujourd’hui encore d’actualité — je le cite : « Une personne a de meilleures chances d’être jugée pour avoir tué une personne que pour en avoir tué 100 000. » Fin de citation.

Ou les propos cyniques de Joseph Staline qui disait que : « Une mort est une tragédie, un million de morts ne constitue que des statistiques. »

De par la création du Tribunal et des tribunaux ad hoc, et ensuite du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, la Chambre extraordinaire pour le Cambodge, la Cour pénale internationale, le Tribunal sur le Liban, les millions de morts ne sont plus considérés aujourd’hui comme des statistiques. Elles sont identifiées dans les actes d’accusation, retenues contre les assassins, que ce soit des premiers ministres, des officiers de haut rang, des religieux, etc.

De par la jurisprudence des deux tribunaux ad hoc, la justice pénale internationale est devenue une réalité qu’aucun dirigeant politique ou militaire ne saurait ignorer. Ce n’est certes pas vrai partout, mais cela l’est de plus en plus.

Ce sont des débuts certes prometteurs, mais beaucoup reste encore à faire.

Nos réalisations au cours de ces quinze dernières années constituent, dans une certaine mesure, ce que l’on pourrait appeler une justice expérimentale. Mais ce n’est que par le biais de ces expériences que l’on pourra voir un nouveau système. Nous nous efforçons de progresser et même, dans les dernières phases d’un procès, nous nous attelons à améliorer la gestion du procès, la gestion des affaires. Mais en dépit de ce caractère expérimental, les Juges du Tribunal n’ont jamais tenté de compromettre la justice et les normes qu’ils ont établies, ont servi d’inspiration à des juges dans d’autres instances, que ce soit des instances internationales ou nationales.

Ce colloque nous offre donc une occasion réelle d’entamer un dialogue avec des acteurs si nombreux, si importants, qui émanent d’horizons divers : défense, procureurs, journalistes, etc.

Je me réjouis d’avance des débats que nous aurons au cours de ces trois jours et je vous remercie pour votre bien aimable attention.

(Applaudissements)

Pr BURRIN :

Merci, Monsieur le Président.
Je passe la parole à André Guichaoua, le Directeur de l’IEDES, co-organisateur de cette conférence.