accueil > SESSION 1 > 3

contribution 3 - DAHINDEN Martin

français english

thématiques

héritage

version originale

M. DAHINDEN :

Merci beaucoup, Monsieur le Directeur.

Mesdames et Messieurs, chers Collègues et Amis, le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité
des Nations Unies adoptait une résolution pour la création du Tribunal pénal international pour
le Rwanda. Aujourd’hui, 15 ans plus tard, la Suisse est très honorée d’accueillir ce colloque
de réflexion.

La Suisse s’est beaucoup engagée pour le développement de la justice pénale internationale tant sur
le plan des instances transitoires telles que les tribunaux ad hoc que pour l’établissement de la Cour
pénale internationale.

La Suisse est également très active dans le domaine général du traitement du passé. Elle aborde
la lutte contre l’impunité d’une manière holistique en s’appuyant sur les principes Joinet contre
l’impunité, adoptés par le Conseil des Droits de l’homme en 1997. Ces principes nous rappellent que,
dans ce domaine, des droits et des devoirs existent : droits des victimes auxquels correspondent
les devoirs des États dans les domaines du droit de savoir, droit à la justice, aux réparations
et garanties de non répétition.

Ce colloque se situe clairement dans ce que Joinet appelle le droit à la justice et le devoir d’impartir
la justice ; droits et devoirs intimement imbriqués dans une dynamique plus globale dont certains
souhaiteraient qu’elle contribue à ce qu’on appelle la réconciliation. D’autres aspirent à une situation
dans laquelle il existerait des garanties de non répétition, voire même un nouveau contrat sociétal qui
posséderait des fondements d’une société respectueuse des droits de l’homme et de l’Etat de droit.

Peu importe le vocabulaire utilisé, ce qui importe ici est d’accepter que ce Tribunal ad hoc existe dans
un contexte bien particulier et que les attentes à son égard dépassent — à juste titre ou pas — sa seule
mission d’impartir la justice.

Symboliquement, le TPIR aurait — si on en croit ces attentes largement diffusées — la mission
d’impartir la justice et de contribuer à la réconciliation. En est-il vraiment ainsi ou bien est-ce
une mission impossible ou dont il faudrait explicitement se distancer ? Tout cela doit être discuté.

Mesdames et Messieurs, dans ce contexte, je me suis posé un certain nombre de questions que
je souhaiterais partager avec vous.
En premier lieu, comment le TPIR a-t-il répondu aux attentes des victimes et des familles des victimes,
ainsi qu’à leurs douloureuses questions ? Les responsables de crimes jugés par le TPIR ont-ils compris
la gravité, l’insupportable barbarie de la dégradation humaine à laquelle ils ont pris part ? Comment
le TPIR a-t-il pu donner pleinement sens à l’expression « due process of law » tout au long de ses
travaux ? Quelles sanctions font sens face à de tels crimes ? Le système qui a conduit à cette barbarie
est-il suffisamment identifié et mis à nu ? Quelles politiques de réparation ont été mises en place ? Quel
impact ce Tribunal a-t-il dans le domaine du droit de savoir ? Ce savoir a-t-il contribué à apaiser
les passions rwandaises ? Que se passera-il avec les archives du Tribunal ?
La question de la responsabilité ou de l’héritage de l’institution est également fondamentale. La justice
peut-elle être juste et pertinente lorsqu’elle doit juger un événement d’une telle ampleur ? Ou est-elle
forcément imparfaite, parcellaire, voire partiale ? Qu’en est-il de l’héritage d’une telle initiative ? Quel
impact un tel Tribunal laisse-t-il pour les prochaines générations ? Contribue-il à renforcer un « plus
jamais ça » ? Qu’adviendra-t-il des impunis ? Quelle fut la contribution du TPIR aux institutions locales
à l’état de droit au Rwanda ?

Mesdames et Messieurs, chers Collègues et Amis, on estime que le TPIR aura coûté environ
1,4 milliard de dollars depuis sa création jusque fin 2009. La question des finances fait aussi, à mon
sens, partie d’un bilan que vous allez tirer quant à l’efficience et la pertinence du fonctionnement d’une
telle institution.

Au-delà de l’aspect financier, les questions relatives aux allocations budgétaires offrent également une
perspective d’analyse qui mérite d’être exploitée. La répartition des charges budgétaires nous informe,
en effet, des priorités d’un tel tribunal. Quelles furent, par exemple, les parts du budget accordées à
l’Accusation, à la Défense, à la protection des témoins ou encore aux efforts de communication ?

En dernier lieu, je souhaite relever la question des défis institutionnels liés à la mise en place d’une telle
structure. Le TPIR a été créé par une résolution du Conseil de sécurité. Comment faire en sorte qu’un
tel tribunal soit opérationnel dans les meilleurs délais ? Comment fonctionnent les instances de contrôle
et d’évaluation ? Comment se conjugue l’indépendance du judiciaire dans ce cadre ? Quelle est
la responsabilité de la communauté internationale dans ce contexte ? Quel défi pose la dépendance
d’une telle institution de la coopération des États impliqués ?
Mesdames et Messieurs, la liste des questions est immense. Ainsi, si je peux émettre un souhait,
j’espère que l’analyse que vous effectuerez ces trois prochains jours permettra de mettre en valeur
les réponses et les solutions que le TPIR a été en mesure d’apporter à toutes ces questions au cours
de son existence.

Mesdames et Messieurs, 15 ans se sont écoulés depuis la création du Tribunal pénal international pour
le Rwanda. La lutte contre la culture de l’impunité devra se poursuivre au-delà de sa prochaine
fermeture. La Suisse, en tant que pays dépositaire des Conventions de Genève et de leurs Protocoles
additionnels, ainsi que par sa longue tradition humanitaire, a une responsabilité particulière en matière
de promotion des Droits de l’homme et du Droit international humanitaire.

Il nous semble essentiel de tirer profit des enseignements de l’expertise du Tribunal pénal international
pour le Rwanda afin de favoriser l’évolution et le perfectionnement de la justice pénale internationale et
de la lutte contre l’impunité. Nous espérons ainsi que ces enseignements pourront être communiqués
aux différents organes impliqués dans la gestion des tribunaux pénaux internationaux.

Nous ne participerons pas aux discussions, elles vous sont exclusivement réservées. Nous vous
écouterons avec d’autant plus d’attention.
Permettez-moi, pour conclure, de souhaiter que ces journées de travail soient pleines d’enseignement
et qu’à l’issue de vos travaux, vous puissiez partager votre bilan et vos leçons apprises avec celles
et ceux qui croient que la justice est indissociable de la paix.
Je vous souhaite un séminaire riche et fructueux. Merci beaucoup.

Pr BURRIN :

Merci, Monsieur l’Ambassadeur.
Je passe à présent la parole au Juge Byron.