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contribution 12 - NGENDAHAYO Françoise

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Réconciliation

Françoise NGENDAHAYO

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Merci, Monsieur le Président. Je voudrais me prononcer sur l’impact du Tribunal quant à la réconciliation au Rwanda.

Je vais me baser sur un cas que j’ai personnellement vécu après le procès Akayesu. En ce moment-là, nous organisions la plaidoirie pour les victimes des violences sexuelles, en ma qualité de conseillère sur les questions de victimes et de genre au TPIR. Nous faisions notamment la plaidoirie pour l’encadrement psychologique, l’assistance médicale et la réhabilitation physique. En passant, je remercie le Greffe qui a fait d’énormes progrès à ce niveau.

Notre attention était alors portée sur les victimes qui souffraient du VIH Sida. L’Ambassadeur Pierre Prosper s’en souvient, spécialement de la victime appelée « JJ » qui avait fait un témoignage extraordinaire, mais qui, malheureusement, était mourante, souffrante du VIH Sida.

Après le procès Akayesu, je suis allée la voir à Taba et je lui ai amené une copie du jugement en français. La réaction qu’elle a eue était contraire à celle que j’attendais. Je croyais qu’elle allait me dire : « Je n’en ai que faire, je voudrais plutôt survivre et avoir des médicaments. » Au contraire, elle m’a dit : « Merci. Maintenant que je possède une copie de ce jugement, même si je ne sais pas lire le français, même si je ne sais ni lire ni écrire, je vais le mettre sous mon oreiller et dormir dessus jusqu’à ce que je meure. » Elle avait exprimé sa satisfaction au niveau de la justice rendue. Je crois qu’ainsi, en toute vérité, on ne peut pas renier l’importance de l’impact de la justice du TPIR au Rwanda.

Le deuxième point que je voudrais soulever concerne le mandat du TPIR par rapport à la réconciliation du Rwanda. Je viens de feuilleter et de relire le mandat tel qu’il est écrit. En fait, le Tribunal allait contribuer à la réconciliation nationale et allait aider à la création d’un environnement favorable à la réconciliation. Il n’a pas été demandé au Tribunal d’amener la réconciliation au Rwanda, ce n’est pas possible. Personne d’autre ne va amener la réconciliation au Rwanda, si ce n’est que les Rwandais eux-mêmes.

Il est clair que la réconciliation ne peut pas être un décret ni une prescription médicale. La réconciliation se passe entre les belligérants, ce sont les Rwandais ou les groupes de Rwandais qui vont se réconcilier. Mais ce qui est demandé à la communauté internationale, c’est de créer cet environnement favorable qui, lui-même, requiert des préalables. La justice est un préalable, un très grand préalable.

Ensuite, il existe nombre de réparations/réhabilitations/restitutions. À partir de cela, on peut très bien comprendre que la réconciliation est un résultat à atteindre dans la perspective, et que tous les mécanismes devraient être mis en place pour accompagner, faciliter en vue de déblayer le chemin pour l’atteindre.

Je n’ai pas l’intention de vous faire un grand discours sur la réconciliation, je sais qu’ici tout le monde possède des connaissances suffisantes en la matière. Revenons sur les résultats du TPIR et l’impact sur la réconciliation. Certains ont parlé d’« apaisement », il est important d’évaluer le niveau d’apaisement. Peut-on facilement mesurer l’apaisement acquis par les victimes lors du prononcé d’un jugement ? La réhabilitation augmente encore le niveau d’apaisement ; la réparation, plus encore. A-t-on déjà mesuré l’impact d’un aveu ? Un aveu a un impact très important. L’aveu de Kambanda, par exemple, a eu un impact très important pour les Rwandais, du moins pour ceux qui ont pu nous le communique.

Je voudrais aborder une autre réalisation importante du Tribunal en termes d’impact sur la réconciliation nationale. Hier, Monsieur Amoussouga a fait référence à « Umusanzu center ». J’aurais préféré qu’il ait traduit intégralement l’appellation exacte, parce que c’est avec les interprètes rwandais que le Greffe avait baptisé ce centre qui s’appelle « Umusanzu Mu Bwiyunge » qui signifie « contribution à la réconciliation ». Je dis que c’est important, parce que les jeunes – nous parlons là de générations – qui se documenteront, visualiseront les images d’archives et se dissuaderont probablement de ne plus refaire les mêmes erreurs. Ce centre peut jouer un rôle important pour la « non-répétition ». Ceci voudrait dire qu’avec ces documents et archives, c’est-à-dire qu’avec cela, les gens auront peur de tuer parce qu’ils auraient peur de la justice. C’est dans ce cadre que le TPIR, au-delà de la réconciliation, a joué un rôle important dans la prévention des conflits parce que les gens pourraient avoir, au moins, peur de la justice.

Monsieur le Président, je voudrais terminer en exprimant une préoccupation qui me tient à cœur Tout en formulant mes félicitations pour l’organisation de telles importantes assises – c’est la première fois que j’assiste à un colloque du genre –, je suis persuadée qu’il aurait fallu inviter les vrais évaluateurs. Qui aurait dû évaluer l’impact sur la réconciliation nationale ? Peut-être aurait-il fallu accorder un peu plus de place à quelques victimes, parce que ce sont elles qui peuvent évaluer l’impact, ce sont elles qui auraient pu l’exprimer. J’aurais également compris que c’était une séance à huis clos et que tout le monde ne pouvait pas être présent. Néanmoins, je suggérerais que ce forum soit complété par une étude de la perception des victimes rwandaises de l’impact du travail du TPIR.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

Vincent CHETAIL

Étant entendu qu’il y a déjà des victimes qui sont parties prenantes aux débats que nous avons eus jusqu’à présent. Mais il est vrai qu’il serait intéressant d’approfondir cette question-là sous l’angle d’une étude de terrain sur la réconciliation en tant que telle, qui, évidemment, ne se décrète pas.

Monsieur Schabas avait cité l’exemple allemand, qui est à la fois un exemple et un contre exemple, puisqu’il a fallu que la France et l’Allemagne entraînent le monde dans deux guerres mondiales pour arriver, finalement, à une certaine réconciliation. Ce qui montre combien le chemin de la réconciliation s’inscrit sur la longueur et dépend de données qui sont parfois difficiles à quantifier.

Je passe la parole à Madame Fadugba.