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contribution 16 - GUICHAOUA André

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Bilan du TPIR - Écriture de l’histoire

André GUICHAOUA

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Je voudrais commencer par dire que, assurément, si l’idée de ce colloque est venue d’un très petit groupe de personnes, il ne faut pas s’y restreindre. Dès le départ, le projet de colloque a été débattu avec les responsables du TPIR. C’est à la fin 2007 je crois, que j’en ai débattu pour la première fois avec le Procureur Jallow, avec Adama Dieng, avec le juge Møse, avec Roland Amoussouga et avec Richard Karegyesa. Cette idée a fait l’unanimité. Donc, ce n’est pas du tout un « colloque Guichaoua », excusez moi, c’est d’abord un « colloque TPIR ». Je tiens vraiment à le dire pour une raison simple : c’est bien autour du TPIR et avec les personnes qui ont été impliquées dans le fonctionnement du TPIR que ce colloque a eu lieu.

Je continuerai en rajoutant quelques éléments. Si le colloque, à mon avis, s’est déroulé comme on l’imaginait, c’est bien grâce au fait que tous les invités « autour du TPIR » ont bien voulu s’y prêter. Et je crois qu’il est vrai qu’on a entendu ici au cours de ces deux derniers jours, des propos qui, pour beaucoup, ont pu semblé un peu surprenants, mais qui, en tout cas, n’étaient pas communs.

Je voudrais dire à ce sujet aussi que je remercie le Procureur Jallow de ce qu’il a dit ce matin. Il était important de le faire et je pense que plutôt que d’avoir des échanges en tête à tête, ce qui a été dit publiquement ce matin, à mon sens, devait être dit. Personnellement, je pense que ce ne sera une surprise pour personne, je n’adhère pas forcément aux propos qui ont été tenus, mais, je reconnais qu’un procureur est indépendant. Nous sommes des universitaires, nous ne sommes pas responsables de la politique de la poursuite et je respecte totalement ce qui a été dit même si, par ailleurs, je peux avoir des réserves.

J’irai un petit peu plus loin en disant que ce qui fait « notre attachement » au TPIR, et notre investissement, - parce que, quand même, pour certains, il est impressionnant -, ce ne sont pas forcément les réussites ou les échecs du TPIR, c’est le fait qu’il existe. Dans un contexte aussi déprimé que celui que l’on connaît dans la région des Grands Lacs, le TPIR représente une lueur, représente un point de repère, en tout cas, telle était sa fonction. Il est fort et utile de dire que quels que soient les aspects sur lesquels on peut formuler des réserves, le TPIR est une institution morale qui est nécessaire dans cette région et qu’à ce titre, il faut « y croire » même si, pour certains, cela reste de l’ordre de la croyance. Mais je ne pense pas que ce ne soit que des croyances.

J’ajouterai encore que le TPIR n’est pas comptable des fautes et de la démission de la communauté internationale vis-à-vis de la tragédie rwandaise en 1994. C’est pour cela qu’il avait été créé, et s’il a été doté d’un procureur indépendant et d’un statut ad hoc, c’était justement pour affirmer qu’il était une institution éthique qui n’avait pas à endosser la responsabilité des autres échecs et qu’il avait, à ce titre, la possibilité de juger en toute indépendance les auteurs des crimes commis au cours de ce conflit.

Je continue dans ce même registre avec quelques autres points.

La remarque sur la présence des victimes à notre colloque : oui, mais nous sommes vraiment désolés, nous avions dit qu’on invitait les personnes impliquées dans le cadre du fonctionnement du Tribunal. Nous avions aussi dit que nous n’invitions pas de représentants d’associations. Nous avons donc invité les victimes telles qu’elles ont été représentées au sein du Tribunal, et elles ont bien été présentes au cours de nos débats.

Parmi les invités - et je tiens à le dire avant la clôture, puisque la remarque a été faite par certains -, il y a des absents. Assumons-le. Effectivement, des représentants du parquet et des autorités rwandaises ne sont pas venus participer à nos débats. Je serai très clair : aussi bien le Procureur Martin Ngoga que le représentant Aloys Mutabingwa ou encore l’ambassadrice en poste à Genève, Vénantie Sebudandi, ont été invités. Ils ont eu toute latitude et le temps nécessaire pour prendre leurs dispositions. Si aujourd’hui, ils ne sont pas là, je dis sincèrement que nous le regrettons tous. Leur présence aurait certainement donné lieu à un autre débat assurément, avec des personnes qui avaient aussi des arguments forts et qui pouvaient très bien les faire valoir ici. Mais leur décision a été ainsi, il faut la prendre comme telle.

Mais je voudrais encore revenir sur les débats de l’après midi et ajouter un dernier commentaire. Il y a quelques années, le porte-parole du FPR avait répondu à des propos que j’avais écrits en disant qu’il ne pouvait imaginer que dans un tribunal, on puisse juger à la fois et dans le même temps, les bourreaux et les victimes. Sur ce point, je dirais qu’à la limite, je suis prêt à admette le fait que les Procureurs successifs et les Juges aient jugé bon de ne pas mélanger des crimes qu’ils estiment comme n’étant pas de même nature. Ceci peut‑être pour affirmer la primauté ou le caractère absolument exceptionnel d’un génocide. Personnellement, je suis prêt à l’admettre.

En tant qu’universitaire et en tant que témoin, nous ne sommes pas comptables de la politique de la poursuite. Par contre, ce dont nous sommes, à mon sens, responsables — et en tout cas c’est là‑dessus que l’on reconnaît notre crédibilité —, c’est d’essayer de dire le vrai. Non pas le vrai tel qu’il est établi judiciairement, mais tel qu’il peut être présenté dans nos rapports de chercheur surtout si, dans un second temps, il est validé dans le cadre judiciaire après l’épreuve des débats contradictoires.

Sur ce point, les choses sont simples : ce que l’on attend de nous, universitaires, c’est de contribuer à écrire ce qui s’est passé. Alors, ce qui personnellement me gêne, ce n’est pas tant, à la limite, que des procès du FPR aient eu lieu ou n’aient pas eu lieu, c’est le fait que le TPIR ait constitué le génocide comme un objet spécifique, séparé et qu’il ait fondé sa raison d’être exclusivement sur ce qu’il a construit comme étant le génocide.

Il était parfaitement possible de juger uniquement les crimes de génocide en reconnaissant aussi le fait que le génocide est un élément, un moment d’un conflit au cours duquel bien d’autres crimes ont été commis. Or, le TPIR, dans les éléments de vérité qu’il a produit, dans ce qu’il a voulu juger, a fait du génocide un objet en soi qu’il n’a pas voulu resituer dans le cadre d’une guerre avec les différentes forces qui y étaient impliquées. Il a fallu attendre le jugement Bagosora, en décembre 2008, pour que cela soit clairement dit. Cette remarque va bien au-delà du fait de revendiquer que les bourreaux et les victimes - comme on le dit à Kigali - soient jugés dans le même temps et dans la même enceinte.

Maintenant, pour nous, les universitaires, notre calendrier et nos échéances ne sont pas celle du TPIR. Le TPIR n’est pas une institution pérenne, son travail s’achèvera. Que cela ait été en 2004 ou que cela soit en 2010 ou en 2011, il faudra bien que ça se termine. Mais la vérité que nous sommes censés produire en tant qu’universitaire n’est pas faite pour 2004, pour 2008 ou pour 2010, elle est faite normalement pour durer.

Je voudrais donner un exemple personnel : au début des années 70, j’étais censé commencer ma carrière au Chili et je n’ai pas pu y aller. Pourtant j’avais travaillé pendant deux ans pour préparer mon installation au Chili. L’exemple du Chili m’a toujours marqué, parce que 30 ans après, celui qui s’est emparé du pouvoir a été arrêté et des comptes lui ont été demandé. C’est pour cette raison que, personnellement, je ne suis pas pressé. Le TPIR peut fermer, le travail de vérité continuera. La vérité se construira. Elle s’écrira, ou se réécrira, et si certains discours à un moment ne sont pas audibles pour des raisons politiques ou idéologiques, je pense que, de toute façon, ceux qui à terme gagneront sont ceux qui auront travaillé le plus rigoureusement et fourni le plus d’éléments susceptibles d’accréditer une histoire vraie.

Il n’est pas possible qu’indéfiniment, une histoire mensongère puisse prévaloir. Sur bien des aspects, le temps n’est pas encore venu de convenir qui dit le vrai, qui dit le faux, mais les générations de demain demanderont nécessairement des comptes. Elles revisiteront les écrits, elles revisiteront les témoignages et elles feront le tri. C’est pour cela que je soutiens que la seule chose que nous ayons à faire pour l’instant, ce n’est pas d’essayer de convaincre quiconque de quoi que ce soit ou de demander au TPIR de faire ce que, éventuellement, il n’a pas envie de faire, c’est de travailler dans notre domaine de compétence, à ce qu’on est susceptibles de bâtir, c’est‑à‑dire des éléments de vérité et on verra bien s’ils résistent à l’avenir.

Merci beaucoup.

Vincent CHETAIL

Merci. Nous avons encore trois intervenants, je leur demanderais d’être le plus bref possible. Je passe donc la parole à Monsieur Eboe-Osuji sur la distinction crime ordinaire et crime international, qui avait été évoquée en début.