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contribution 04 - OTHMAN Mohamed

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Qui poursuivre ? - Stratégies de la poursuite

Mohamed OTHMAN

version traduite

Je pense que l’une des questions les plus importantes dans l’évolution de la stratégie de poursuite
au Tribunal pénal pour le Rwanda, c’était, comme vous l’avez dit, au départ, lorsque les enquêtes ont commencé. Que ce soit en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, l’approche suivie a consisté à mener
des enquêtes sur les exécutants qui vont vous mener vers ceux qui ont planifié. Voilà la politique qui
a été suivie pendant les deux premières années. Ensuite, il y a eu une évolution dans la stratégie selon les résultats des enquêtes. Et la deuxième phase a consisté lorsque le Procureur a adopté une position concrète permettant de voir le type d’atrocités qui ont été commis.

Dans le cas du Rwanda, par exemple, vous avez entendu qu’à partir de 1996 jusqu’en 1999, environ
3 000 personnes ont été arrêtées par le gouvernement rwandais. Donc vous avez vu qu’il y avait un nombre assez élevé de personnes qui avaient été tuées, et qui relevait du mandat du Tribunal. Puis, on a procédé à l’arrestation d’accusés. Il y a des pays qui ont arrêté des accusés mais qui n’acceptaient pas de les extrader. Donc, cela a réduit la charge de travail du Tribunal parce qu’il y avait des gens qui étaient déjà arrêtés par la Zambie et mis à la disposition du Tribunal.

Donc, pour ce qui est de l’évolution de la stratégie, ce que nous avons constaté, c’est qu’il faudrait qu’au niveau du Procureur, il y ait une stratégie bien définie quel que soit l’endroit.

Dans le cas du Rwanda, je pense qu’il y a eu un certain nombre d’éléments qui constituaient cette stratégie. L’un de ces éléments, c’était qu’au Rwanda, on considérait qu’il y avait un seul génocide et non pas plusieurs génocides. Parce que les enquêtes devaient évoluer en fonction de ce qu’on allait découvrir, et le Procureur a donc pu arrêter une thèse. On a par exemple retenu la thèse de l’entente, l’entente en tant que politique. Parce qu’il faudrait faire une distinction ici entre ce qu’on pourrait appeler entente entre des accusés qui se sont retrouvés à un certain moment et l’entente en tant que stratégie du procureur qui dit : il y a eu un seul génocide commis à un certain moment au Rwanda.

Et puis, il y a eu le fait que l’accusation devant les juridictions rwandaises devait traduire la responsabilité en matière de génocide. Donc, il a été dit clairement : voilà la stratégie qui va être suivie. On l’a appliquée au cas des médecins, au cas des prêtres, etc.

Un autre élément de la stratégie consistait à définir l’autorité. Par exemple, la responsabilité qui découlait d’une situation de facto qui existait sur le terrain ou le fait de détenir ou d’avoir exercé l’autorité à un certain moment. Ce sont des éléments qui ont été retenus. Et là encore, il faut établir un lien entre les enquêtes. Tel qu’on l’a mentionné tout à l’heure, il a fallu établir un lien avec les enquêtes.

Par exemple, on a décidé d’avoir des règles venant de différentes branches ou de différents types de droit, que ce soit le droit anglo-saxon, le droit romain. Par exemple, dans le droit anglo-saxon, on ne dit pas à la police par exemple comment procéder aux enquêtes ou comment mener leurs enquêtes.
Donc il a fallu définir tout cela au cours du processus.

Je voudrais ajouter que nous avons appris une chose, à savoir que pour les enquêtes, il faut des outils. Des éléments de crime, aujourd’hui, sont très développés au niveau de la CPI. Ce n’était pas le cas dans les tribunaux des Nations unies. Notamment dans le cas du Rwanda, il a fallu beaucoup de temps pour définir tous ces éléments-là. Mais aujourd’hui, dans les textes qui existent, ces définitions sont là.

Je voudrais insister sur un fait nouveau dont a souffert la stratégie du Procureur, c’est qu’il y avait
des pressions qui s’exerçaient pour obtenir des résultats, et ces pressions ont conduit à des mises en accusation de certains auteurs ou de certaines personnes qui n’auraient pas dû être là. Il y a même certains auteurs qui ont été mis en accusation sans qu’on connaisse leurs noms complets. Donc c’étaient là des éléments négatifs de cette stratégie. Cela m’amène à parler d’un autre élément mineur, à savoir le modèle : le modèle de justice pénale que l’on voudrait appliquer, qu’on voudrait suivre.

Si vous examinez les données statistiques qui sont disponibles, vous verrez qu’entre le moment de la désignation du Procureur pour le Tribunal du Rwanda et la première mise en accusation, il a fallu deux ans. Et ce que nous avons retenu, c’est que le Tribunal pénal international est un modèle qui retarde l’administration de la justice. Et nous convenons que c’est un modèle qui comporte des retards. C’est un modèle qui n’est pas nécessairement accepté par toutes les parties prenantes ou tous les acteurs

J.P. GETTI

Merci de votre intervention.

Je vois deux orientations principales dans vos propos. La première, c’est en ce qui concerne
la stratégie des poursuites — et c’est légitime à mon sens —, elle a évolué dans le temps en fonction
des circonstances ; mais par contre, vous vous interrogez, semble-t-il, sur, néanmoins, un certain niveau de cette évolution de stratégie. Est-ce que cela correspondait bien à la mission du Tribunal international ?

Et notamment lorsque vous parlez de certains individus qui n’auraient pas dû s’y retrouver accusés, lorsque vous dites qu’il faut définir les autorités, est-ce que tout ceci n’était pas suffisamment clair
à votre esprit et que cela a généré à ce moment-là, peut-être, une incompréhension, voire une mauvaise orientation de la politique pénale ? Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Mohamed OTHMAN

Je pense, en ce qui concerne l’objectif global qui a été visé, vous avez entendu le Président dire ce matin que le profil des accusés au Tribunal pénal pour le Rwanda correspond à un niveau de responsabilité très élevé. Et ce que je dis à ce sujet, c’est que le Procureur ne s’est pas cantonné, ne s’est pas enfermé ou n’a pas considéré ce profil comme un obstacle ou un écueil.

À quelques exceptions près, c’est-à-dire certains cas qui auraient pu être examinés devant les juridictions nationales, le Tribunal a voulu démontrer au niveau élevé l’entente ou la planification sur
le plan national. Vous savez, pour ce genre de juridiction ou ce genre de crime, il faut deux éléments, d’abord le contexte et, ensuite, les responsabilités individuelles dans le contexte. Et d’où est venu le contexte ? Le contexte a été tiré des rapports sur le respect des droits humains ou des violations des droits de l’homme. Dire par exemple que les crimes ont été planifiés, ont été organisés, il a fallu dire par exemple que le Conseil des ministres ou les ministres du gouvernement intérimaire du Rwanda assument une partie de ces responsabilités. Quelle est la situation ? Il y a eu 14 ministres dans
un gouvernement qui ont été mis en accusation, deux ont été acquittés et les 12 autres ont été déclarés coupables.

Donc, le niveau de responsabilité dans le cas du Rwanda a été défini. J’ai oublié de dire tout à l’heure qu’on a suivi une politique claire. Il fallait montrer que ces personnes avaient des responsabilités ou
une certaine autorité sur le plan politique, sur le plan militaire et autres. Et nous avons des procès qui sont dénommés Militaires I, Militaires II, Gouvernement I, Gouvernement II. Donc, des responsabilités assumées par des personnes à ce niveau.

Et dans ce type d’enquêtes, vous avez ce que vous avez appelé les « petits poissons ». Je crois que certains de ces « petits poissons » qui devaient être jugés devant la juridiction nationale au Rwanda ont été effectivement jugés au niveau du Tribunal.

J.P. GETTI

Monsieur Reyntjens, s’il vous plaît.