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contribution 05 - REYNTJENS Filip

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Affaire Kabgayi - Poursuites contre le FPR - Impunité

[fond saumon]Filip REYNTJENS[fond saumon]

version traduite

Merci.

Je voudrais intervenir parce que ce que nous venons de dire soulève une question beaucoup plus large. Je voudrais que cela soit mentionné dans le cadre de nos travaux. Ce que je veux dire est déjà connu de beaucoup d’intervenants ici, mais je voudrais dire juste ces mots : ce matin, dans son allocution d’ouverture, le Président Byron a dit — et je vous cite presque textuellement, vous dites que « les crimes ne peuvent pas être commis sur le territoire de certains États en toute impunité ». Je dis : tout à fait, vous avez raison. Certains crimes peuvent être commis par les gagnants dans certains cas. Lorsque les crimes sont commis par les gagnants, ces crimes sont commis parfois en toute impunité. Peut-être qu’il y a aujourd’hui des « gros poissons » qui sont assis quelque part à Kigali et qui ne sont pas inquiétés.

Donc, ce que je voudrais dire — c’est peut-être le but de la création du Tribunal selon
la Résolution 955 —, il s’agissait de mettre fin à l’impunité, il s’agissait également d’assurer le processus de réconciliation et de restaurer la paix. Donc c’était clair au départ. Il a été dit très clairement dans le rapport de René Segui en 1994 que le FPR avait commis des crimes relevant du mandat du Tribunal pour le Rwanda. Mais l’impunité pour certaines victimes, à mon sens, cela est apparu assez clairement lors des premières séances que j’ai eues avec le Procureur Goldstone en 1996. Je lui ai demandé s’il avait l’intention de poursuivre des responsables de certains crimes qui sont du FPR ou de l’APR — et je lui ai dit qu’il y avait des éléments qui montraient effectivement que des crimes avaient été commis —, et lorsqu’il m’a dit qu’en réalité ces éléments concrets n’étaient pas établis, c’était la fin de notre entretien. Je constatais donc que le Bureau du Procureur ne commençait pas avec un esprit ouvert, et ce biais n’a jamais disparu.

En 2003, je me trouvais avec Alison Des Forges à Arusha, et nous avons travaillé avec l’équipe « enquêtes spéciales » du Procureur en place pour examiner les crimes commis par le FPR. L’équipe
a voulu discuter des preuves qui existaient, nous avons été impressionnés par le travail effectué par
ces équipes qui ont établi des éléments sur les crimes commis par le FPR.

Il nous est apparu qu’on pouvait poursuivre ces personnes, et nous avions identifié quatre cas de massacres à Butare en juillet, à Giti, à Byumba, à Gakurazo. Et pour toutes ces affaires, il y avait beaucoup d’éléments de preuve, et les suspects étaient connus.

À l’époque, nous étions confiants, nous pensions qu’on pouvait émettre des actes d’accusation. Mais à ce moment-là, nous ne nous sommes pas rendu compte qu’à ce moment-là les Etats-Unis, sous la houlette de Pierre Prosper Richard, contribuaient à enterrer ces enquêtes spéciales. Donc les suspects ne devaient pas être jugés par le TPIR, c’est le Rwanda qui allait s’en occuper. Mais cela ne s’est pas matérialisé. En même temps, Carla Del Ponte était remplacée dans les circonstances que
je ne dois pas rappeler ici.

Lorsque je suis retourné à Arusha en 2004 pour témoigner dans l’affaire Bagosora, j’ai parlé au Procureur Jallow, j’ai parlé du travail qui avait été fait par cette équipe spéciale. Je lui ai demandé s’il avait l’intention de poursuivre ces personnes. Il a dit : « J’examine les éléments, et nous allons prendre une décision le moment venu. » Il nous a dit cela à plusieurs reprises jusqu’aujourd’hui.

Pour citer quelques exemples, un an après notre rencontre, il a dit à une agence de presse qu’il continuait d’examiner les éléments de preuve. En février 2007, il a dit, je cite : « Je déciderai vers le milieu de l’année si nous devons établir des actes d’accusation contre ces membres. »

Mi-2007, il n’y avait toujours rien de concret de sa part, il y a toujours eu des manœuvres dilatoires jusqu’à la fin. Et j’ai mentionné les allégations contre les membres du FPR.

Et dans son exposé au Conseil de sécurité le 4 juin, cette année, c’est-à-dire il y a un mois, il a apparemment admis que son bureau n’avait pas d’acte d’accusation prêt concernant les allégations contre le FPR à ce stade précis. Voilà ce qu’il a dit au Conseil de sécurité. Je ne voudrais pas rentrer dans les détails ici. Et comme vous le savez, en 2005, j’ai écrit pour dire que je suspendais ma coopération avec le Bureau du Procureur Jallow à moins qu’on ne poursuive ces personnes. J’ai dit que le TPIR devenait une partie du problème et non pas de la solution. Et jusqu’au moment où je lui ai dit que, pour des raisons d’étique, pour des raisons morales, je ne pouvais plus participer à ce processus, le Procureur Jallow a à nouveau recouru à ses manœuvres dilatoires à la mi-2008.

Il y avait des allégations disant que le TPIR pratiquait une justice des vainqueurs. Et le 6 juin 2008, il a dit que des crimes avaient été commis à Gakurazo par le FPR. Le procureur général au Rwanda avait dit qu’il allait mettre en accusation les personnes mentionnées. Il a indiqué que ces personnes seraient poursuivies pour tous les crimes relevant du mandat du TPIR. Mais ces personnes ont été jugées pour meurtre et complicité du meurtre tout simplement. Le régime du Rwanda a toujours nié avoir commis des violations du droit international. Et aucun des 32 éléments du FPR jugés au Rwanda n’a été jugé pour des crimes contre l’humanité.

Donc, voilà des faits qui ont été fournis. Je crois que Jallow n’a pas ce procès en dépit des engagements qu’ils avaient pris. Ces procès conduits au Rwanda ont été mal conduits, à mon sens.

Je ne voudrais pas vous dire comment ces procès se sont déroulés. Deux capitaines qui ont plaidé coupable pour meurtre, deux officiers supérieurs pour complicité pour meurtre. Ils ont été emprisonnés pour huit ans, puis la peine a été réduite de cinq ans au niveau de l’appel.

Cette impression est partagée par certains observateurs que ce procès n’a pas été mené selon les règles de l’art Et une lettre envoyée le 26 mai 2009 par Human Rights Watch à Jallow indiquait que cela a été un déni de justice. Et en dépit de l’engagement pris par le Procureur d’évaluer les procédures menées au Rwanda pour voir si ces procès avaient respecté les règles internationales, il est resté muet sur ces questions, c’est pour cela que j’ai parlé de manœuvres dilatoires tout à l’heure.

Dans l’intervalle, en dépit de tous les éléments disponibles, le Procureur semblait être satisfait du procès indiquant au Conseil de sécurité que le procès a été mené en toute équité. Human Rights Watch a dit que le Procureur a envoyé des observateurs uniquement pour les deux premières audiences,
une fois pour les dernières conclusions et une autre fois pour le prononcé du verdict ou de la sentence.

Bien entendu, le Procureur a beaucoup de discrétion en ce qui concerne les poursuites. Il a analysé la discrétion de manière générale dans une revue scientifique — 2005 —, où il est indiqué que le Procureur juge souverainement de l’opportunité de poursuivre. Et lorsqu’il y a un abus de sa discrétion par le procureur, il n’y a pas de recours prévu.

Et le Procureur, généralement, estime que la responsabilité pour les poursuites repose uniquement sur son bureau. Et je suis sûr que vous ne serez peut-être pas d’accord avec ce que je veux dire maintenant, mais j’ai eu l’impression jusqu’à ce matin que personne, personne n’a accepté son mandat en tant que tel. Et comme Monsieur Jallow l’a dit, personne d’autre ne pouvait faire ce travail à leur place ou les forcer à le faire.

Je voudrais parler maintenant des conséquences que j’estime assez importantes, et j’évalue ces conséquences par rapport aux objectifs du TPIR qu’on a définis au début. D’abord l’impunité.

C’est précisément parce que le régime de Kigali a bénéficié d’une certaine impunité qu’au cours des années qui ont suivi 1994, ce régime a commis des crimes internationalement réprimés tant au Rwanda qu’en RDC.

Et l’APR a massacré des dizaines voire des centaines de milliers de personnes.
Des questions d’intérêt national ont été examinées dans le contexte d’un pays comme le Rwanda où on a reconnu le problème des victimes d’un côté sans parler des conséquences pour les victimes de l’autre côté, où certaines victimes ne sont pas reconnues comme telles. Il y a eu de l’humiliation, des frustrations, des ressentiments et, on constate qu’il y a le même biais ou le même parti-pris au sein des juridictions rwandaises.

Pour ce qui est de la restauration de la paix, le sentiment dont j’ai parlé de la part de certains Hutus
a conduit à une violence structurelle qui va sans doute conduire à terme à une violence à une grande échelle. Le Rwanda est entré sur le territoire congolais, a pillé des ressources et commis des violations.

Donc, en fait, il n’y a pas eu une bonne administration de la justice, il y a eu un déni de justice qui n’a pas contribué à l’essor ou au renforcement de la paix dans la région. Plusieurs gouvernements ont mentionné cela. Le directeur exécutif de Human Rights Watch a dit : « Le fait de ne pas procéder, cela va dépeindre sur la perception de l’héritage ou du legs du Tribunal dans l’esprit des générations futures ».

J’ai peut-être été un peu long, mais j’ai voulu mentionner cela dans le dossier de nos travaux, parce que je me disais que nous allions peut-être nous contenter ici de parler d’évaluation technique. Et je crois que c’est un aspect fondamental de l’évaluation des travaux du TPIR que j’ai évoqué dans mon exposé.

J.P. GETTI

Essayons, dans la mesure du possible, de raccourcir les interventions, si différentes personnes souhaitent le faire. En tout cas, c’est la recommandation qu’on me demande de vous transmettre à nouveau.