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contribution 03 - ARBIA Silvana

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Qui poursuivre ?

Silvana ARBIA

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Merci beaucoup.
Ce n’est pas proprement sur la formation, mais sur le besoin de relier l’enquête à la poursuite. Un des problèmes qu’on a trouvé en commençant à travailler au niveau du TPIR en tant que Procureur, c’était le travail parallèle entre le travail de l’enquêteur et le travail du Procureur qui était chargé de préparer le procès. Alors, l’enquêteur ne fait que préparer son dossier, sa preuve. Mais ce dossier n’était pas vraiment relié à la stratégie de la Poursuite, c’est-à-dire à la preuve qui doit être présentée au procès. Finalement, je me rappelle très bien quand on a commencé en même temps avec Madame Del Ponte comme Procureur en chef, on a pensé donner au chef de l’équipe de la poursuite un devoir de plus, c’est-à-dire de diriger aussi l’enquête, donc de guider un peu les enquêteurs et essayer de préparer la preuve pour le procès, donc focaliser l’attention de l’enquêteur sur cela.

Ce que disait James, effectivement, a changé beaucoup de choses aussi parce que l’enquêteur n’est pas nécessairement un expert de droit pénal international. Pour le génocide, il faut chercher certaines preuves parce que c’est un crime spécial sur lequel il faut prouver aussi l’intention spéciale. Donc, ça vraiment été une expérience très positive.

Mais la formation est importante pour tous les enquêteurs, en général et, si je peux ajouter une expérience qui est venue après le TPIR, à la CPI il y a une liste d’enquêteurs professionnels pour la défense. Cela peut aider. En effet, au cours de mon expérience, je trouve que l’enquête détermine la réussite d’un procès, la réussite d’une défense ou quand même le travail vrai du procès. C’est ce que j’avais à dire sur le fonctionnement de cet aspect de la formation.

Silvana ARBIA

Maintenant, concernant la politique. Comme vous le savez, la difficulté dans la poursuite internationale — en tous cas dans l’expérience du TPIR, je ne sais pas si c’est aussi le cas au TPIY —, c’est que le Procureur travaille avec la concurrence du procureur national. C’est la compétence exercée en concurrence avec la compétence exercée par la poursuite nationale. On peut ainsi trouver des situations où le procureur national, le juge d’instruction (cela dépend des systèmes) sont déjà à un stade avancé de leur enquête. Ce qui peut déterminer le choix du Procureur international : quelle sera la priorité ? Est-ce qu’il doit exercer son droit et confirmer l’enquête commencée déjà par un procureur ou juge d’instruction au niveau national ? Est-ce qu’il doit laisser l’affaire au juge national ? Ceci détermine aussi la politique d’un procureur international. Il n’est pas tout seul contrairement un procureur national.

Comment le Procureur démarre son travail au niveau international ? Au delà de cette concurrence, cela se passe comme au niveau national : une information qu’il peut trouver dans ces rapports officiels. Tout d’abord, il n’y a pas une enquête mais la définition de certains événements qui peuvent influencer le choix du procureur de choisir telle ou telle enquête comme priorité. Concernant l’expérience du TPIR, le Rwanda avait déjà fait beaucoup d’enquêtes, il y avait une liste de suspects qui a pu être considérée par le procureur international, qui a pu déterminer le choix de poursuivre tel ou tel responsable.

Enfin, il y a un autre point qui est beaucoup plus important au niveau international, c’est celui des implications politiques dans le résultat d’une enquête ou d’une mise en accusation. Est-ce que c’est mieux ou plus opportun de faire par exemple un acte d’accusation confidentiel et secret ou de le rendre public ? Demander une arrestation avec une requête publique ou non publique ? Sur la base de mon expérience, je trouve cet aspect-là extrêmement intéressant, parce qu’il faut toujours penser aux conséquences soit pour les victimes, soit les conséquences politiques. Là encore, le choix de la stratégie est très sensible, très délicate, pour un procureur international.

J.P. GETTI

Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite intervenir sur ce thème des poursuites et sur les questions soulevées par Madame Arbia ?

Notamment, il y a deux questions en phase préalable dans ce que vous dites : est-ce que le Tribunal pénal international doit-il faire valoir sa primauté ? Et si oui, selon quels critères ?
La deuxième chose : lorsqu’il y a une concurrence de compétence, notamment dans le cas du Rwanda, comment se fait la répartition des affaires entre la juridiction nationale et la juridiction internationale ? Alors, comment avez-vous réglé le problème ?

Silvana ARBIA

Ce n’est pas un problème qui se règle une fois pour toutes. En effet, l’enquête peut commencer de différente manière. On peut recevoir par exemple une plainte, c’est possible, on reçoit un rapport officiel de l’ONU, on reçoit un dossier des enquêteurs qui ont déjà complété une certaine enquête. A ce moment-là, on décide au cas par cas. Est-ce que c’est une affaire qui relève de la compétence du Tribunal international, c’est-à-dire d’une gravité particulière ? Parce que le mandat du Tribunal international a certaines conditions. Ce qui serait mon propre choix à moi, je considérerai avant tout quel genre de dossier j’ai, quel genre de preuves. Est-ce que ce sont des preuves valables ? Est-ce que ce sont des preuves solides ? Est-ce que le dossier est complet ? Est-ce que les faits sont assez graves ? C’est assez sérieux pour justifier la poursuite de la part du procureur international.

J.P. GETTI

Vous donnez une explication selon laquelle, votre choix se fait au cas par cas. C’est tout à fait compréhensible. Mais il se fait principalement par rapport aux éléments de faits, c’est-à-dire par rapport à la gravité des faits et par rapport à ce que vous avez à votre disposition comme preuve.
Mais n’y a-t-il pas une autre approche qui serait celle du niveau hiérarchique de celui qui est impliqué ?

Silvana ARBIA

Bien sûr, je parlais du mandat du Tribunal pénal international qui exige que le Tribunal s’occupe des cas les plus graves. La gravité est un critère qui n’est pas simple à déterminer. Il peut être évalué par rapport aux victimes, par rapport à la gravité des crimes, par rapport à l’autorité de l’auteur. Donc, il y a plusieurs facteurs qui peuvent aider à déterminer la gravité nécessaire pour que l’exercice de la compétence du Tribunal soit justifié.

J.P. GETTI

À ce sujet, dans les fiches qui ont été remises, comme le disait ce matin André Guichaoua, il y a des questions qui sont en rapport avec les « gros poissons ». Qu’est-ce qu’un « gros poisson » pour le Tribunal international ? Selon quel critère estime-t-on cela ? On a retrouvé cela au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, cette notion de « gros poisson ». Donc, quels sont les critères qui font qu’on a affaire à un « gros poisson » ?

Monsieur Othman, je crois que vous aviez posé effectivement la question dans une de vos notes.