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contribution 22 - DIENG Adama

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Bilan du TPIR

Adama DIENG

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Je vous remercie.

Monsieur le Président, chers Collègues et amis, Mesdames et Messieurs, je suis tenté d’abuser de mon rôle d’intervenant pour des propos de clôture, et de faire une petite remarque en réponse à une question posée par mon voisin de droite, Lars Waldorf, qui me semble être extrêmement importante : « The ICTR built a large constitution in Africa to bring an end to impunity. »

Indeed, we tried our best. And, as you may know, it is not really for the ICTR. We did not have the means. And that is why I’m grateful to Guichaoua when he did raise, a couple of minutes ago, that the ICTR is definitely a moral institution, not only judicial, but a moral institution needed in the Great Lakes region. I can confirm that because many people in DRC, in Burundi at some stage were asking that the mandate of the ICTR be expanded to enable the crimes, atrocities committed in those two countries to be dealt with by the ICTR. Of course, that sounded like a dream, because I think, as some of us did mention, the Security Council at the time of establishing the ICTR may have thought that it would not take many years. And today if you walk around the lobbies in New York, people talk about the fatigue, and we will come to that later. But I think even if we have to spend billions and billions of dollars it was worth to be invested.

The second point is the point raised by Bernard Muna when he referred to some accusation which had been made about the ICC referring to as a new colonial judicial institution. But this is not a surprise to me. In August 2001 I published an article in the Herald Tribune in which I was calling the African leaders to bring to justice their warlords, their dictators and to domesticate the Rome Statute. And I was saying unless you do it, a day will come, sooner or later, when you will start saying that this is judicial imperialism. And I stand firmly to say one cannot talk about judicial imperialism in this context.

What happened in Sudan in the eyes of many people, which has been broadcasted by TVs, what is going on in some countries continuing violations of human rights I think should remind us that what we have achieved in Arusha is important. But, on the other hand, people may wonder how come that a country closed to Tanzania, which is about three hours driving, faced atrocities following the election ? I’m referring to Kenya. Does it mean that the people there did not learn what happened in Rwanda and which was being tried in Arusha ? But I used to say, let’s be patient. You cannot judge the work of this Tribunal when it comes to its impact within such a short period. This is something which will take time. And I’m glad to say that two weeks ago, when I toured some provinces of Rwanda, I was very pleased to note that judges, registrars, judicial officials, lawyers in those provinces were using the materials of ICTR, and in some decisions even quoting ICTR jurisprudence. And I think that is something extremely important to bear in mind. It is maybe minimum, even with two or three judgements in those places, I think that is already something important we have to bear in mind.

Cher amis, permettez-moi de continuer en français parce que nous sommes à Genève.

Je dois dire que je ressens beaucoup d’émotion, car dans cette même salle, le Professeur Clapham le sait, nous nous sommes battus, à l’époque, dans la préparation, d’abord, du congrès de Vienne, où avec son épouse, nous étions les seuls à porter haut le flambeau pour que soit inclus dans le projet de déclaration de Vienne la nécessité de la création d’un Tribunal pénal international permanent. C’était à la suite d’une série d’activités que nous avions menées pour attirer l’attention sur la nécessité de mettre un terme à l’impunité.

Mais, hélas, à peine deux ans plus tard, nous étions les témoins de ce qui est arrivé au Rwanda, cette tragédie du génocide, qui a été, dirais-je, une tragédie en direct, et, hélas, ces images nous sont restées. Je voudrais ici, à cet égard, encore une fois saluer l’œuvre qui a été menée à la fois par les Procureurs, m’adressant ici à Carla Del Ponte et à son successeur, Hassan Jallow. Le travail qu’ils ont mené n’était pas un travail facile, il faut le reconnaître.

Je voudrais aussi saluer la mémoire du Juge Laïty Kama qui a été le premier Président de ce Tribunal, aujourd’hui disparu, et qui, avec le Juge Møse et la Juge Navanethem Pillay, ont rendu ce jugement historique : le Jugement Akayesu.

Mes chers Amis, nous voici arrivés au terme de trois jours de riches débats qui ont marqué les esprits tant par leur consistance que les enseignements que nous pouvons en tirer.

Tout à l’heure, mon ami André Guichaoua a fait des remarques, qu’il me permette, avant de commencer mon propos, de faire juste une petite clarification.

Dans les documents du colloque qui ont été distribués, il a été fait référence par endroit à un débat interne du TPIR, une sorte d’exercice d’introspection. Puisque les principaux membres et les principaux organisateurs, et de nombreux participants du colloque ne sont pas des membres du TPIR, puisqu’il y a aussi des invités externes au TPIR, on ne peut pas strictement parler d’un exercice de réflexion exclusivement interne au TPIR, même si, comme il l’a bien relevé, nous avons été associés de très près à l’organisation de ce colloque.

Ceci est bien un colloque international sur le TPIR, mais pas un colloque du TPIR. Je me devais de faire cette petite précision juste pour l’histoire.

Mais je dois me dépêcher de dire que cette remarque est sans préjudice, sans préjudice de mon appréciation, de l’appréciation du Président Byron et du Procureur Hassan Jallow, de la très bonne organisation de ce colloque, ainsi que de ses objectifs.

L’ambition de ce colloque était grande et risquée. Elle était risquée parce que nous sommes dans une dynamique non encore achevée. André Guichaoua se souviendra bien de mes propos lorsque je lui disais que fin 2008 , ce colloque était d’abord prévu pour décembre 2008, me paraissait trop proche ; je proposais plutôt fin 2009 pour que nous nous rapprochions davantage de la fin des travaux. Mais je crois que c’est important que nous l’ayons fait en ce moment-ci parce que, en tout état de cause, nous sommes dans une dynamique non encore achevée, induisant l’absence possible d’un recul nécessaire pour un bilan.

C’était une grande ambition parce qu’en définitive, il ne s’agissait pas seulement de voir si le TPIR pouvait servir de modèle ou pas à la justice pénale internationale, comme le laissait entendre l’intitulé de notre colloque.

S’il ne s’agissait que de répondre à cette question, nous aurions pu d’emblée rappeler que l’inspiration que nous avons donnée aux concepteurs de la Cour pénale internationale et à toutes les autres juridictions pénales qui ont vu le jour après nous, aurait suffit pour le qualifier, peu ou prou, de modèle de la justice pénale internationale.

En vérité, dès l’entame de nos travaux, son Excellence l’Ambassadeur Martin Dahinden a fixé la barre très haut. Il a posé une série de paramètres à l’aune desquels les résultats du TPIR devaient être appréciés. Ceci allait de la réponse à l’attente des victimes, au respect de la due process of law, en passant par le droit de savoir, la question de l’héritage, celle de l’influence sur la justice locale ou celle du coût de la justice rendue par le TPIR, pour ne citer que certains aspects.

J’ose espérer qu’avec la générosité dont la Suisse a fait montre dans le financement de ce colloque, Monsieur l’Ambassadeur Dahinden a pu trouver à travers nos débats des éléments de réponse à certains de ses questionnements. À l’évidence, il n’aura pas été possible de répondre en si peu de temps et dans un cadre d’échanges somme toute limité à toutes les interrogations qu’il a formulées. Mais je ne voudrais pas pour autant bouder mon plaisir, et le vôtre certainement, plaisir de retrouver dans un cadre unique les acteurs anciens et actuels de la justice internationale au Rwanda et que leur destin individuel a naturellement éloigné ne serait-ce que géographiquement – Carla Del Ponte est aujourd’hui bien loin, à Buenos Aires. Plaisir aussi de constater que ce colloque aura permis un large tour d’horizon quant au rôle du TPIR dans la réponse judiciaire au génocide et autres crimes atroces commis au Rwanda en 1994.

L’évaluation a été exhaustive et le diagnostic très peu complaisant. La politique des poursuites du Procureur a été passée en revue et a suscité parfois des débats passionnés. Le système de nos preuves a été passé au crible, notre politique de protection des témoins questionnée. Bref, toute notre architecture procédurale a été fouillée, retournée et les acteurs interpellés.

Si au terme de cet exercice une conclusion s’impose, c’est qu’il valait bien la peine de créer les tribunaux internationaux et singulièrement le TPIR qui nous concerne ici. S’il avait pu y avoir des doutes, il y a quelques décennies, que la justice pénale internationale pouvait réellement fonctionner, ce doute n’est plus permis aujourd’hui. Sa marche a pu être cahoteuse, il faut l’avouer, sa marche a été peut-être incertaine, par moment, mais elle fonctionne. Et puis, ce manque de linéarité n’est-il pas inhérent à tout processus de croissance ? En vérité, ce que je comprends de certaines critiques, c’est qu’elles font simplement écho à l’adage qui dit : « qui aime bien châtie bien ».

Différentes paraboles ont été utilisées pour tempérer certaines ardeurs. Quelqu’un a indiqué que nous n’étions peut-être qu’au Moyen âge de la justice pénale internationale ; un autre a parlé de bébé pour lequel il fallait être patient en le laissant grandir. Ce qui est évident, c’est que quinze ans d’âge, même dans le cycle de vie, somme toute assez court, de l’être humain ne correspond pas à l’âge adulte. N’oublions pas que les systèmes judiciaires, common law ou civil law, que nous avons critiqués dans certains de leurs aspects au cours de nos travaux, ont été développés à travers les siècles. Dans ce contexte, toutes choses étant égales, il ne semble pas que les quinze ans d’adolescence du TPIR soient si mal vécus.

Dans un propos introductif, le Président Byron a donné un aperçu des réussites du TPIR. Pour ma part, je voudrais juste rappeler encore qu’amener devant une juridiction pénale internationale – et cela a été dit tout à l’heure – presque tout un gouvernement pour répondre de faits extrêmement graves, surtout dans un contexte africain qui, par le passé, était caractérisé par une impunité presque totale, me semble une avancée majeure. Mais nous devons encore continuer cette lutte contre l’impunité en Afrique.
Néanmoins, pour reprendre à rebours l’image de mon ami François Roux – dommage qu’il soit parti –, il me semble qu’il peut être légitime de regarder le verre et de dire qu’il est heureux qu’il soit plein à moitié, ou peut-être même, dirais-je, aux trois-quarts. La partie vide, le dernier quart nous rappellera, certes toujours, comme je l’ai dit hier, que des progrès sont à faire. Mais naturellement, je me refuserais de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Et par-delà toute analyse quantitative, le seul témoignage du participant à ce colloque, mon ami Thomas Kamilindi qui, d’une façon poignante, a raconté comment – et Claudine Vidal l’a rappelé aussi –, en tant que victime des atrocités de 1994, il s’est senti à l’annonce de la condamnation de son agresseur, vaut tous les millions de dollars dépensés au titre de la justice pénale dont le TPIR est le héraut.

Je suis d’accord que nous devons toujours nous essayer à améliorer la qualité de la justice. Ceci sera un travail de tous les jours. Mon ami François Roux qui sera bientôt, d’ailleurs, dans les tâches de gestion au niveau des juridictions pénales internationales, sera un interlocuteur très intéressant dans quelques années ou peut-être même dans quelques mois, quand il vivra l’ingratitude de certaines fonctions d’employés des Nations Unies, que nous exerçons en toute passion et avec tous les sacrifices, mais qui ne nous permettent d’échapper à aucune critique, comme si nous ne faisions rien.

Je voudrais également, venant du TPIR, m’associer à l’hommage qui a été rendu hier à Alison Des Forges. Alison Des Forges, pour moi, n’était pas seulement cet expert qui arpentait les couloirs du TPIR à Arusha, comme l’a rappelé hier Leslie Haskell. Alison Des Forges était une amie de près de vingt ans. Et je me souviendrais toujours, lorsque j’ai quitté Kigali le 4 avril 1994, lorsqu’il y eut l’attentat – ce que mon ami Nkiko appelle « l’acte de piraterie aérienne » –, le lendemain, Alison – il était 3 heures du matin à Genève – m’a appelé pour se soucier du sort d’une de ses camarade activiste, Monique, qui avait dû se réfugier dans le grenier de sa maison pour échapper aux machettes des génocidaires.

Alison était une brave femme. Alison était une femme, comme l’a rappelé hier son époux, d’une grande générosité, d’une grande pureté. Alison a travaillé pour le Bureau du Procureur comme expert témoin, à titre bénévole. Elle n’a jamais encaissé un seul centime, tout comme André Guichaoua. Et André Guichaoua, c’est seulement peut-être il y a deux ans – et ce n’est pas pour critiquer votre université, Madame Flour – que nous avons eu à le rémunérer pour tout simplement vous permettre aussi de fonctionner, de respecter les règles de gestion budgétaire et administrative de votre établissement, et je tiens donc à vous remercier pour lui avoir facilité la tâche pendant des années au service du TPIR, je vous remercie encore.

Avant de terminer, donc, je voudrais quand même rendre un vibrant hommage aux organisateurs de ce colloque. Je voudrais particulièrement remercier l’Académie de droit international humanitaire et des droits humains de Genève, l’Institut des hautes études internationales et du développement et l’Institut d’études du développement économique et social de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, ainsi que le sponsor principal du présent colloque, le Département fédéral des affaires étrangères suisse, qui nous a aidés avant. Je me souviens d’être allé à Berne, à la suggestion de Carla Del Ponte, pour obtenir, justement, du gouvernement suisse le financement d’un projet à Kigali, et il s’agissait notamment de permettre la construction d’une salle d’audience qui devait abriter certainement un jour
– c’était là l’objectif – la tenue d’audiences à Kigali même. À l’époque, nous rêvions de la possibilité d’avoir des audiences qui se seraient déplacées sur Kigali, nous rêvions d’avoir la possibilité d’avoir un écran géant au stade Amahoro où nous retransmettrions les procès à partir d’Arusha. Mais tout ceci n’était alors pas facile, les émotions étaient encore fortes, le gouvernement rwandais ne nous facilitait pas la tâche. Je me souviens encore du directeur de l’ORINFOR qui avait exigé que nous payions, comme s’il s’agissait de messages publicitaires pour la diffusion d informations du TPIR à partir de cette radio, ce que j’ai refusé parce que j’estimais que la radio ORINFOR, la radio nationale du Rwanda, est une radio publique et que ce que nous faisions relevait d’un service public.

Donc, je tenais, encore une fois, à saluer l’effort financier de la Suisse qui a rendu possible la tenue de ce colloque historique. Je dis bien « historique », j’emploie ce qualificatif pour saluer la portée de l’événement, car c’est bien la première fois qu’une telle réflexion est menée à l’échelon international autour du modèle de justice pénale internationale développé à Arusha, et dont les acquis et défis ont fait l’objet d’un examen approfondi durant ces trois jours de discussion.

Je voudrais aussi saisir l’occasion pour rendre aussi un hommage aux journalistes présents dans cette salle, qui sont des anciens d’Arusha, je pense notamment à André Essoungou, à Thierry Cruvellier, à Pierre Briand qui, pendant nos travaux, n’est pas intervenu, à Stéphanie Maupas, cette équipe sans laquelle ce qui s’est passé dans ce petit coin reculé d’Afrique serait resté complètement inconnu. Mais grâce à leurs efforts, nous avons pu atteindre, je dirais, presque toutes les régions du monde. Je ne ferai pas de publicité pour RFI, mais depuis qu’André est parti, même si parfois il était critique – mais c’est son rôle, il le faut –, nous n’avons plus cet accès sur les ondes de ce qu’on appelle la radio francophone mondiale.

Je tiens finalement à saluer l’action personnelle de mon ami André Guichaoua. André qui a œuvré de toutes ses forces pour donner corps et une réelle dimension à cette rencontre.

Je tiens particulièrement aussi à remercier et féliciter chaleureusement ce jeune homme qui, dans l’ombre, a permis de jeter une lumière vive dans la préparation et le déroulement de notre colloque, j’ai nommé Christophe Golay. Christophe, merci encore pour ton appui.

Enfin, je voudrais, au nom du TPIR, dire notre haute appréciation pour le dévouement et l’abnégation de Sylvie Capitant. Sylvie Capitant n’a ménagé aucun effort dans la préparation et l’organisation de ce colloque. Nous nous réjouissons aujourd’hui de disposer d’un document de référence de qualité, qui présente le bon bilan d’étapes du TPIR, et je vous invite tous à profiter du train ou de l’avion pour prendre le temps de lire ce document qui a été préparé. Le séjour de Madame Capitant à Arusha a été l’occasion, pour nous, d’apprécier sa perspicacité, son tact, sa diplomatie, son courage, sa patience.
C’est pourquoi, au nom du Tribunal, je lui dis : Sylvie Capitant, un grand merci.

(Applaudissements)

Et en reconnaissance pour sa contribution personnelle, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a le plaisir de lui présenter ce symbolique cadeau qui est l’expression de notre humble appréciation.

(Applaudissements)

Je voudrais aussi inviter Christophe Golay à se joindre à nous pour également recevoir ce modeste cadeau.

(Applaudissements)

Mes chers amis, je vous remercie tous pour votre attention et en attendant de vous retrouver pour une autre rencontre bilan, qui peut-être aura lieu quand le TPIR aura déjà fini ses travaux, je vous remercie encore une fois, et bon retour.
(Applaudissements)
L’on m’a rappelé quelque chose que j’ai oublié et qui, en fait, est dans nos traditions, même si cette fois, il s’agit de staff du TPIR, c’est de remercier les interprètes qui nous ont permis de communiquer. Et remercier également les sténotypistes d’audiences. Et les caméramans.
(Applaudissements)

À tous merci.

(Levée de la séance : 16 h 45)// (Session recessed at 4.45pm)