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contribution 04 - VIDAL Claudine

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Enjeux des traductions - Réconciliation

Claudine VIDAL

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Merci. En si peu de temps, je vais évidemment aborder très peu de points mais des points qui concernent le chercheur. Ils peuvent vous paraître étroits mais au moins, ils correspondent à un intérêt professionnel, spécialisé. J’avais été très frappée par la remarque de Thierry Cruvellier qui disait qu’à relire le jugement du procès Akayesu et le jugement du procès Bagosora, on se rendait compte qu’il y avait eu une évolution extraordinaire du récit historique constitué par le Tribunal.

Je suis entièrement d’accord. Récit historique pour nous, c’est très important. On sait bien d’ailleurs combien les historiens utilisent des documents judiciaires à condition de se démarquer des logiques juridiques, non pas pour les déprécier mais pour avoir leur propre autonomie de pensée. Mais ce qui est aussi important c’est tout ce patrimoine historial qui a été constitué par le Tribunal avec les déclarations des témoins.
Or, j’ai été très attentive à ce que disait Alphonse Mpatswenumugabo, en tant qu’interprète. Il serait catastrophique de perdre les témoignages enregistrés en kinyarwanda, traduits oralement et brièvement en français et en anglais, mais non transcrits. Il faudrait réellement pouvoir effectuer les transcriptions en kinyarwanda. Pas seulement pour le bon plaisir des chercheurs. Je tiens là-dessus à dire qu’il s’agit d’un objectif un peu moins égoïste. Connaissant bien la manière dont les Rwandais utilisent l’histoire pour s’entredéchirer - c’est constant chez eux -, s’ils n’ont pas un matériau irréfutable qu’on peut certes interpréter comme on veut, mais dont au moins on peut dire : c’est bien cela qui a été dit et en kinyarwanda. Au moins la discussion peut partir sur des bases plus objectives.
Et je crois que, pour la suite, il serait important que plus tard, dans des années et des années, les futures générations rwandaises puissent lire ce qui a été dit par des Rwandais à ce Tribunal et en kinyarwanda.
Le deuxième point. J’avais été frappée par la déclaration de Thomas Kamilindi disant que lorsqu’un jugement a été prononcé contre l’homme qui avait voulu sa destruction physique, il avait pleuré. C’est aussi une question que nous nous posons, nous les chercheurs. Quels effets ont les jugements sur les gens ? Nous le savons parfois, cela a été exprimé hier, mais nous le savons beaucoup moins de façon collective. Et là, je dois dire que j’ai été très heureuse d’entendre cette réaction. Parce que je pensais qu’il y avait des effets, mais enfin on les connaît mal. Et cela a été dit d’ailleurs : il serait bien de savoir comment cela se passe — comme on dit d’habitude — « sur les collines ».
Ce deuxième point m’envoie au troisième et dernier point, c’est celui de la résolution 955 précisant que le Tribunal doit, je cite : « contribuer au processus de réconciliation nationale ». Le rapport entre la justice et la réconciliation : si on faisait une moyenne, ces deux termes, justice, réconciliation, ont été accolés 30 fois par jour au minimum dans ces journées.
Or, là-dessus, je suis très rétive. D’abord, le terme même de réconciliation m’a toujours beaucoup gênée. Même si je sais que maintenant, il est passé dans la politique. Mais je n’ai jamais bien compris pourquoi des victimes demanderaient à se réconcilier avec les gens qui les ont poursuivies, surtout si ces gens-là ne leur demandent pas spécifiquement pardon ou ne cherchent pas particulièrement à se réconcilier.
Mais c’est surtout le lien entre la justice et la réconciliation qui me paraît pratiquement un slogan et surtout une incantation quand on le répète aussi souvent. Je ne sais pas si on finit par y croire. Mais quoi qu’il en soit, on tombe là dans quelque chose qui ressemble à de la langue de bois.
En effet, si la justice s’est montrée boiteuse, il est clair qu’elle ne participera pas au processus de réconciliation, et qu’elle ne fera même qu’entretenir certaines frustrations. Et dans ce cas-là, effectivement, accoler les deux termes justice et réconciliation me paraît tout à fait de l’ordre de l’imaginaire, du fantasmatique.
On peut aussi imaginer une justice qui marche parfaitement sur ses deux jambes. Mais je ne crois pas que, même si elle marche sur ses deux jambes, elle aura quelque effet sur la réconciliation nationale. Elle aura, comme disait Thomas Kamilindi, un effet, l’apaisement peut-être, un apaisement des lourdes douleurs ; mais plus, je ne crois pas.
Je ne minimise pas l’importance de la justice, ce n’est pas du tout ça, mais le travail de réconciliation est un travail de politique. C’est aux politiciens du pays concerné de le faire, avec l’aide, naturellement, de tous les gens qui sont pour cette réconciliation. Mais je ne crois pas qu’il faille demander ça à la justice.

Vincent CHETAIL

Merci beaucoup. C’est finalement là l’ambiguïté fondamentale de la justice pénale internationale en général et dans ce cas particulier où il y a une fonction symbolique — vous l’avez très bien souligné — du constat du génocide qui était nécessaire et en même temps de cette fonction symbolique qui finit par dévier sur une vertu supposée et que vous qualifiez d’incantatoire en termes de réconciliation. C’est là, finalement aussi, ce en quoi le Tribunal pénal est à mon avis particulièrement intéressant parce qu’il incarne les dilemmes assez fondamentaux de la justice et des liens parfois contradictoires que la justice peut nouer avec la réconciliation.
Je passe la parole à Madame la professeure Catharine Newbury qui est professeur au Smith College à Northampton.