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contribution 03 - GARAPON Antoine

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Bilan du TPIR - Politique & Justice

Antoine GARAPON

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Merci. Je ne veux pas faire de synthèse, elle a déjà été partiellement faite par mon collègue. Je voudrais revenir sur un point qui a hanté nos travaux, qui sont les rapports entre justice et politique. Dans ces rapports entre justice et politique, ce qui nous gêne bien sûr, c’est que ce sont des rapports de force. C’est-à-dire ce sont des rapports objectifs qui sont au-delà du droit.

Alors comment les caractériser ? Je dirais, pour partir d’une observation qui a été rappelée d’ailleurs pas Carla Del Ponte ce matin, que la justice pénale internationale a toujours besoin des États, qu’elle elle a toujours besoin de la politique, ne serait-ce que pour obtenir des preuves. Mais à l’inverse, il faut marquer ce point et insister, que la politique a parfois besoin de la justice. Nous sommes donc dans un rapport qui a quelque chose d’asymétrique bien évidemment, mais qui est quand même un lien. Pourquoi est-ce que la politique a éprouvé le besoin de créer une justice internationale pour l’ex-Yougoslavie ou pour le Rwanda ? On ne peut se borner à constater l’effet CNN parce que derrière, il y a une force. C’est parce qu’il y a une force qu’on a créé la justice pénale internationale. Cette force c’est l’opinion publique. C’est l’opinion, c’est-à-dire que la justice est le fruit d’une nouvelle sensibilité, partiellement d’une partie du monde, qui est une sensibilité à la victime, qui est une sensibilité à la souffrance humaine, une sensibilité à la violence politique, à la démesure d’une souveraineté meurtrière.

La différence, c’est que cette sensibilité apparaît comme plus universalisable que les précédentes. Cette opinion publique, qui a forcé les États à créer les TPI, prend sa source dans un événement fondateur qui est le crime contre l’humanité, encore plus le génocide. Elle a trouvé son moment synthétiseur dans le génocide juif pendant la deuxième guerre mondiale. C’est pour cette raison que la référence au génocide est une référence fondatrice. Parce qu’elle est fondatrice, parce que c’est le tabou fondateur, elle est particulièrement intimidante. On l’a bien vu hier sur le débat sur la peine, comment juger un génocide, comment toucher à cette référence fondatrice ?

Je pense que tous nos débats sur la peine pourraient se caractériser ainsi. La question est : comment est-ce qu’on va humaniser cette référence qui touche à l’absolu de la prohibition du génocide ? Je pense que la justice pénale internationale est en train de quitter ses temps héroïques et elle découvre la difficulté des temps prosaïques dans lesquels la prose de la justice doit faire avec des choses nécessairement impures.

Alors dans ce rapport de force, les armes ne sont pas égales. Le politique a la puissance pour lui, il a la puissance matérielle, il a les fonds, il a les voix délibératives aux instances internationales, il a aussi les forces invisibles. On sait à quel point les services secrets, l’intelligence, interfèrent puissamment avec la justice pénale internationale d’une manière qui est particulièrement complexe à repérer parce que précisément elle est invisible.

Face à cette puissance des États et de la politique, quelles sont les forces de la justice pénale internationale ? Ces forces, eh bien, c’est le contraire. C’est pas beaucoup de force matérielle, mais une grande puissance symbolique, précisément parce qu’elle manie ces notions aussi fondamentales que sont le refus de la souffrance des victimes de violence politique, et cette référence fondatrice dont je parlais.

Sa grande force, dans le fond, c’est donc la visibilité. La force de la justice pénale internationale est qu’elle est aujourd’hui une des principales manières de mettre en scène mais aussi de mettre en sens le monde. Je crois que c’est une responsabilité qui pèse sur nous tous, juristes ou parties prenantes à une justice pénale internationale, pour bien utiliser cette force.

Il y a plusieurs manières d’envisager les relations entre la justice et les pouvoirs politiques. La première consiste à les nier, à ne pas vouloir les voir, à les refouler. La seconde à accepter de transiger. On a bien vu au cours des débats ces deux positions : soit une ignorance superbe mais feinte, soit une tentative de négociation, sans cesse à recommencer pour essayer d’obtenir des preuves. Faire, avec ces dimensions impures.

La difficulté c’est que la justice se présente volontiers comme la pureté d’un idéal qui serait mis en action et mis en scène et que la politique c’est l’impur. C’est un peu plus compliqué que ça.

Il ne faut pas oublier que lorsque le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a été institué, personne n’y croyait, et que les politiques qui l’ont institué n’avaient absolument aucune envie que cette justice marche. C’est une assurance politique pour leur permettre de dire : on ne pourra pas dire qu’on n’a rien fait, non, on a fait quelque chose, mais surtout que ça ne marche pas.

Il me semble donc que ce qui est étonnant, ce n’est pas que le politique veuille user de sa force. C’est tout à fait normal, et je crois qu’on ne peut pas envisager le contraire. Tout ce que peut faire le pouvoir politique, il le veut, il le fait. Ce qui est étonnant, c’est que la justice ait existé et qu’elle ait pu être conquise, en quelque sorte, contre une volonté politique réelle au-delà de la volonté politique annoncée dans les traités. Il me semble que dans ce sens-là , et je serai plus du côté des optimistes, le bilan qu’on a dressé est un bilan qui est rentré dans les détails et qui a vu tout ce qui ne marchait pas. S’il y a des choses qui ne marchent pas, ça ne doit pas nous faire oublier que, dans le temps long de ces rapports entre pouvoir et politique, je ne suis pas sûr que la justice ait autant démérité. Merci.

Vincent CHETAIL

Merci beaucoup. Nous allons passer maintenant à la présentation des universitaires.

Je propose de procéder de la manière suivante : nous allons écouter les universitaires qui nous feront une présentation aussi synthétique que possible de quatre à cinq minutes. Ensuite à la fin de ces présentations, je crois qu’il est important de poursuivre le débat. J’espère que vous avez pu apprécier le silence des universitaires jusqu’à présent, ce qui en soi est assez exceptionnel. Maintenant que nous avons la parole, on va essayer de la garder quand même un petit peu. Evidemment, l’enjeu ici, ce n’est pas de monopoliser la parole, mais bien d’assurer un débat comme cela a été le cas jusqu’à présent.

Donc pour l’instant, c’est un temps de parole réservé aux universitaires qui sera relativement bref. Ensuite, n’hésitez pas à noter vos questions, à nous les transmettre, et nous poursuivrons le débat tout de suite après. Je vais donc donner la parole, pour commencer, à Claudine Vidal qui est chercheuse au CNRS.