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contribution 39 - NGARAMBE Joseph

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Réconciliation

Jospeh NGARAMBE

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Merci, Monsieur le Président. Je vais essayer de rendre mon intervention la plus brève possible, surtout que mes compatriotes ont dit les choses que je me préparais à dire en fait.

Je suis d’accord avec mon compatriote Thomas Kamilindi quand il dit que les bourreaux de 1994 se prenaient pour des dieux. Effectivement, ils pensaient que les crimes seraient impunis. On est tout à fait satisfaits. Le nombre importe peu, 30 et quelques déjà jugés, quelles que soient les conditions, c’est un signal. C’est un signal fort. On est apaisé quelque part, mais le chemin reste encore long : est-on réconciliés ? A-t-on foi dans l’avenir au Rwanda, chez nous ?

On a des soucis. On a des soucis parce que d’abord, si le signal qui a été donné en jugeant les 30 et quelques et d’autres en cours de jugement, c’est un signal effectivement qui dit que la communauté internationale a tourné le dos à l’impunité qui a toujours caractérisé notre pays depuis des décennies ; néanmoins, en regardant aussi à côté, l’impunité est là aussi et elle est au pouvoir chez nous, au Rwanda.

Contrairement à ce que raconte mon autre compatriote Jean Haguma, au Rwanda, nous sommes dirigés par un Président accusé de crimes contre l’humanité, mais qui est protégé par son statut de chef de l’État. Quarante militaires de haut rang, y compris onze généraux sont poursuivis en Espagne pour actes de génocide, crime contre l’humanité et crime de terrorisme. Ils ne peuvent pas mettre un pied en Europe, c’est la réalité rwandaise. On est dans un pays dirigé par des présumés criminels.

Dire que les prisonniers jugés devraient aller purger leur peine au Rwanda, ça, c’est une bonne chose, mais à condition que le Rwanda soit une démocratie, un pays apaisant, un pays qui a vraiment tourné le dos à la violation des droits de l’homme, ce qui est loin d’être le cas, sinon nous ne serions pas des réfugiés. Moi, je suis un réfugié et ce n’est pas la première fois que je suis réfugié ; j’ai été réfugié à l’âge de six ans, de 1960 à 1969, parce que j’avais une mère tutsie et que mon père était décédé avant la révolution de 1959, il était hutu il pouvait peut-être me protéger. J’ai été exilé sous le régime des Hutus. Aujourd’hui, c’est le régime tutsi, mais qui s’en défend, hypocritement, parce que les mêmes critères sont là. Je connais l’exil depuis 15 ans et je ne peux pas mettre les pieds chez moi.

Voilà. Dire aux prisonniers déjà jugés que tout est bien là-bas dans mon pays... Tout n’est pas bien dans mon pays, nous avons encore du chemin à faire. Aujourd’hui, je peux évoquer quelque chose. Il y a une loi qui vient d’être instaurée, est-ce que la leçon a été apprise chez nous, dans mon pays ? Pas du tout.

En 2001, on a instauré une loi qu’on appelle « la loi sur le divisionnisme », une loi qui est purement ethnique, en fait, elle ne frappe que les Hutus. Comme si ça ne suffisait pas, quatre en plus tard on a instauré la loi sur l’idéologie du génocide, avec un tarif entre dix et 25 ans, une loi qui a été dénoncée par Human Rights Watch et autres organisations des droits de l’homme, laquelle loi est une loi pour terroriser toute voix divergente avec le pouvoir.

Aujourd’hui, il y a une semaine ou deux, Human Rights Watch a dénoncé un projet de loi qui autorise notamment la stérilisation des faibles mentaux. Comme du temps des nazis ; comme du temps des nazis. Cela fait deux semaines.

Voilà mon pays. Est-ce qu’on a appris des leçons par rapport à ce qui nous est arrivé ? Moi, je dis qu’il y a quelques lueurs au niveau de la réconciliation, mais, vraiment, le chemin reste long et le risque est grand qu’on rebascule dans la violence.

A. GARAPON

Merci beaucoup.
Alors, je ne vais prendre que trois interventions, après il faudra s’arrêter pour l’hommage à Alison Des Forges. Donc sur ma liste j’ai Roland Amoussouga, Adama Dieng et le Procureur Fadugba.