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contribution 01 - GARAPON Antoine

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Bilan du TPIR

Antoine GARAPON

version originale

(Reprise de la séance : 14 h 20)

A mon tour de me présenter. Je m’appelle Antoine Garapon, je suis magistrat, juge en France. Je travaille depuis quelques années dans l’Institut des Hautes Études sur la Justice créé il y a maintenant près d’une vingtaine d’années.

Je voudrais avant de commencer à aborder le fond de notre matière de cet après midi, remercier les organisateurs pour cette conférence. En général, ce sont des propos un peu convenus dans un colloque. Mais en l’occurrence ici, ce ne sont pas des propos convenus parce que je crois que notre rencontre a quelque chose de rare, et d’exceptionnel. En France, j’aimerais que dans des juridictions, il puisse y avoir des réunions entre les procureurs, les juges, les avocats, les journalistes, les membres de l’administration pénitentiaire, les témoins, pour qu’on puisse se parler, et qu’on puisse dresser un bilan de notre action collective pour faire augmenter l’intelligence collective. Je crois c’est le but de notre rencontre et ce sont des moments précieux.

Il me semble que les travaux non seulement d’hier mais aussi d’aujourd’hui ont montré l’incroyable richesse de l’expérience du TPIR. Nous avons abordé hier la question des poursuites et donc de la stratégie pour savoir comment cibler et monter, organiser des procès. Ce matin, on a posé la question du procès qui était plus celle de la vérité, c’est à dire comment peut-on produire de la vérité, si je puis m’exprimer ainsi.

Cet après midi, on va continuer ce travail en se posant plutôt la question de la cohérence : cohérence du travail du TPIR, sa cohérence aussi avec les autres juridictions qui ont eu à connaître le génocide des Tutsis. Comment donc à travers la peine, cette justice trouve une juste équivalence, une juste proportion des faits qui lui sont soumis, qu’elle a jugés, et comment elle peut y répondre.

Plusieurs sujets sont possibles. Notre session sera consacrée au jugement et à la peine. En réalité, c’est la question du jugement. Avant la question du jugement, dans vos observations, il y a une question récurrente dont on n’a pas beaucoup parlé ce matin mais qui semble très importante, c’ets celle du plaider coupable, du « plea bargaining ». Dans quelle mesure, ce plaider coupable doit avoir une influence sur la peine.

C’est bien sûr ensuite la question des jugements. Pour les jugements, il s’agit de savoir ce qu’ils disent, ce qu’ils nous disent, ce qu’ils disent de l’histoire, ce qu’ils disent des crimes, des preuves, de la culpabilité. C’est leur manière de raconter le génocide.

C’est ensuite bien sûr la question des peines, des acquittements et des conditions. Alors, la peine, c’est aussi la question des conditions pénitentiaires, de la détention préventive, c’est, bien sûr, le quantum de la peine. Dans quelle mesure ce quantum de la peine est homogène ? Quelle est sa rationalité ? Selon quels critères ont été décidées les peines ?

On pourrait aussi ajouter à ces immenses questions la question de la réparation. Bien sûr, à propos du Rwanda, la question de l’indemnisation a été posée. Il n’y a pas que la question de l’indemnisation, il y a aussi le problème des saisies des biens des personnes qui ont été condamnées. Dans quelle mesure le Tribunal est-il parvenu à répondre à cette question de la réparation ? En l’occurrence, il ne l’a pas abordé de front.

Dans la perspective de la fermeture prochaine du Tribunal, se pose aussi la question de l’après. Que deviendront les personnes qui ont été condamnées ? Comment terminer les affaires en cours ? Que deviendra ensuite le contentieux judiciaire post Arusha ? Y en aura t il ? S’agissant d’un crime imprescriptible, on peut l’imaginer. Cela pose d’ailleurs le problème de la répression du génocide rwandais. J’en profite pour attirer votre attention sur un fait qui me semble important : sans conteste, le génocide rwandais est le crime de masse le plus jugé de toute l’histoire. Il a donné lieu à un nombre de jugements considérables beaucoup plus pour la deuxième guerre mondiale, beaucoup plus que pour l’ex Yougoslavie. Car à l’activité du Tribunal pénal international, il faut ajouter les jugements internes rwandais, les jugements belges et les affaires en cours dans d’autres pays ainsi que les Gacaca.

Ça ne fait pas partie de notre sujet, donc nous ne l’aborderons pas. Mais il n’est pas inintéressant de savoir, en tant que matière judiciaire, que c’est le crime contre l’humanité qui sera jusqu’ici le plus jugé de toute l’histoire. Il offrira donc un matériau considérable dont l’exploitation pourra continuer en raison de l’imprescriptibilité de ce crime au titre de n’importe quel type de crimes contre l’humanité.

La fermeture du tribunal pose aussi bien sûr l’épineuse question des archives. Elle est directement liée à ce que je viens de dire, sur l’imprescriptibilité et sur le contentieux post Arusha. Les archives c’est la mémoire de l’activité, c’est la mémoire aussi de cet événement historique, c’est peut être la matière à d’autres contentieux. C’est un matériau indispensable aux historiens parce que maintenant nous nous sommes éloignés d’une vision quelque peu naïve selon laquelle il y aurait un évènement, un jugement et puis ensuite une version définitive de l’histoire. Aujourd’hui, nous somme dans une sorte de ré élaboration, de ré interprétation permanente de l’histoire pour laquelle tout le travail du TPIR sera infiniment précieux.

Ces quelques mots donc pour dire l’abondance de ce que nous avons encore à discuter cet après midi. Je voudrais commencer par la question du plaider coupable. Je crois qu’il y a des avocats qui voulaient aborder ce point. Maître Roux voulait faire une intervention à ce propos.