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contribution 02 - ROUX François

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Les libérés - Plaider coupable

François ROUX

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Merci, beaucoup. Effectivement quelques mots sur le plaider coupable qui a été une des formes d’exercices devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
Un rappel néanmoins qui s’adresse un peu à nous tous : s’il n’y a pas eu beaucoup de « plaider coupable » devant le Tribunal d’Arusha, je crois que nous le savons. Nous nous devons au moins à nous mêmes la vérité : c’est à cause de l’échec du plaider coupable de Kambanda qui a laissé des traces pendant de longues années chez les détenus. Ils se sont dits : il a plaidé coupable, il a été condamné à perpétuité, je ne vois pas pourquoi je ne vais pas essayer à tout prix de contester ma responsabilité et peut être d’avoir un bonus à la fin.

Pendant de nombreuses années, après les premiers plaidoyers de culpabilité, il n’y a rien eu. Lorsque j’ai été saisi de l’affaire Vincent Rutaganira et lorsque j’ai commencé à envisager avec lui un plaider coupable, nous étions un peu à nouveau des précurseurs dans ce domaine.

Je fais juste une digression pour rappeler qu’avant Vincent Rutaganira, j’avais défendu Ignace Bagilishema, le premier acquitté devant le Tribunal. Je vous rappelle qu’à cette époque, on s’était rendu compte, le soir de l’acquittement de Bagilishema, que le mot acquittement n’était même pas indiqué dans le Statut du Tribunal. Ça en dit long sur la suite de nos débats cet après midi. Le mot « acquittement », je ne sais pas si maintenant il y figure, mais à l’époque, il n’y figurait pas. Le soir de l’acquittement de Bagilishema, personne ne savait ce qu’on en faisait. La situation ne s’est pas beaucoup amélioré d’ailleurs depuis, mais on en reparlera tout à l’heure.

Ce que je peux dire sur les « plaider coupables », ce sont effectivement des procédures qui, lorsqu’elles ont reprises, ont permis de redonner une certaine confiance à un certain nombre de détenus. Puisqu’après Rutaganira, d’autres détenus se sont lancés dans cette procédure.

Je rappelle qu’en ce qui concerne l’affaire Rutaganira, le Tribunal a réalisé un très bon petit film de 26 minutes que certains d’entre vous ont peut être déjà trouvé sur la table à l’extérieur. On avait pensé en projeter quelques images ici mais nous n’avons pas le temps. C’est un travail intéressant qui a été fait par le service audiovisuel du Tribunal, qui rappelle un peu le processus d’un plaidoyer de culpabilité.

Après Rutaganira, nous avons accompagné avec le bâtonnier Jean Haguma, Joseph Nzabirinda pour un nouveau plaidoyer de culpabilité. Ce sur quoi je voudrais insister ici, c’est sur « l’après ». Dans le petit film sur Vincent Rutaganira, il y a notamment une intervention du greffier Adama Dieng qui rappelle le bénéfice d’un plaidoyer de culpabilité pour le Tribunal international : que ce soit pour la mémoire, que ce soit pour l’histoire, que ce soit pour la vérité. Adama rappelle également que c’est un bénéfice financier pour le Tribunal. Oui, mais après ?

Eh bien, « après » il faut quand même vous sachiez qu’il ne se passe plus rien. Malgré des promesses qui sont faites à celui qui plaide coupable comme : « on vous aidera à vous réinstaller, on aidera », il ne se passe rien.

Vincent Rutaganira a plaidé coupable, il a été condamné à une peine, il faut bien le dire, modérée. Sa femme, comme j’ai dit ce matin, qui était venue témoigner à visage découvert, a été emprisonnée à son retour au Rwanda. Lui-même, lorsqu’il est sorti de prison, n’a eu que ses yeux pour pleurer. Il est aujourd’hui dans un camp de réfugiés.

Après que Joseph Nzabirinda ait plaidé coupable, un de ses principaux témoins est revenu au Rwanda et il a été condamné à 15 ans de prison. Joseph Nzabirinda a été libéré. Mais aujourd’hui, que ce soit avec le bâtonnier Haguma, que ce soit avec Vincent Lurquin, nous essayons de trouver une solution pour Joseph Nzabirinda qui erre toujours dans les locaux du Tribunal. Alors, certes, on me dit que ce sont des gens qui ont été condamnés, qu’ils ne sont donc pas innocents à l’inverse de ceux qui ont été acquittés. Certes, mais ce sont des gens qui ont payé leur dette vis à vis de la société et qui en plus ont rendu service à la société rwandaise comme le rappelle le film sur Vincent Rutaganira intitulé « Sur les chemins de la réconciliation ». Car quelqu’un qui se met debout devant le Tribunal pénal international pour dire : « Je reconnais mes crimes et je demande pardon aux victimes »... L’objectif de ce film est de donner la parole à tous les acteurs, y compris aux représentants du Rwanda à Arusha, qui disent qu’effectivement : « c’est très important pour mon pays que des gens reconnaissent leur culpabilité ».

Mais une fois qu’ils ont reconnu, une fois qu’ils ont été condamnés, une fois qu’ils ont été libérés, qu’en faisons nous ? Je sais qu’à titre individuel que ce soit Adama Dieng, que ce soit d’autres personnes comme Pascal Besnier, ils essayent de faire ce qu’ils peuvent. Mais institutionnellement il n’y a rien et nous sommes dans le néant le plus total pour les gens qui se retrouvent comme ça après avoir purgé leur peine.

Je voulais attirer votre attention sur ce point car j’en suis très triste. J’ai toujours dit que ça participe de la crédibilité non seulement de notre justice pénale internationale mais pour moi, ça devrait participer de l’exemple. J’ai toujours dit : si nous faisons des plaidoyers de culpabilité, il faut les réussir si nous voulons que par la suite d’autres s’en inspirent. Voilà ce que j’avais à dire. Merci beaucoup.

A. GARAPON

Merci beaucoup. Vous abordez deux problèmes et l’affaire Kambanda n’est pas sans rappeler ce qu’on disait hier pour Tadic. Une des difficultés de ces juridictions pénales internationales qui ont une durée de vie très courte, c’est qu’elles doivent naître, arriver à maturité, sinon mourir... passer le relai en une période de temps extrêmement courte. Ce qui est compliqué.