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contribution 27 - NSANZUWERA François-Xavier

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Écriture de l’histoire - Réconciliation

François-Xavier NSANZUWERA

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Je voudrais réagir rapidement sur la question qui a été posée par le Procureur Muna cet après-midi et aussi sur l’intervention de Thierry tout à l’heure sur l’écriture de l’histoire du génocide.

Sur la question tout d’abord du Procureur Muna de savoir si le Tribunal a atteint les objectifs de réconciliation au Rwanda. Je me suis senti interpellé en tant que rwandais et, surtout, pour avoir traversé le génocide de l’intérieur.

Contrairement à plusieurs participants, car j’ai senti un climat de pessimisme, je peux prétendre être le plus optimiste de la salle. J’estime en effet que le pire est derrière moi. Je ne connais pas mon avenir, mais je ne pense pas qu’il sera pire que le passé. Donc, je suis le plus optimiste d’entre vous, permettez-moi de revendiquer ça.

Je voudrais aussi attirer votre attention sur le fait que le mot, le concept de réconciliation - un mot qui sonne bien, que ce soit en français ou en anglais, et même dans ma langue maternelle en kinyarwanda -, ce mot soulève souvent des interrogations et même des polémiques au sein de la communauté rwandaise, et surtout au sein des intellectuels et surtout au sein de la classe politique. Certaines personnes, même au sein d’une catégorie de victimes, ont avancé le mot de cohabitation pacifique.

Je ne vais pas m’aventurer dans cette sémantique, je voudrais plutôt utiliser un mot que j’ai retenu du livre du président de la séance de cet après-midi, un mot qu’il a utilisé dans son livre : le mot « promesse ».

Personnellement, je crois que les jugements rendus par le Tribunal, quel que soit leur nombre, portent pour les jeunes rwandais, pour les jeunes générations rwandaises, une promesse. Quelle promesse ? Une promesse que leur avenir ne sera pas comme le passé violent de leurs parents. Ça, je pense que c’est important pour les survivants, c’est important pour les jeunes rwandais, aujourd’hui, qui grandissent.

Ce n’est pas une question de bilan, ce n’est pas une question du nombre de condamnés. Ce n’est pas une question de la valeur de peines. Le fait que le génocide a été reconnu, c’est important pour les jeunes générations rwandaises.

Je ne veux pas vous citer toute la bibliographie négationniste, révisionniste, on a parlé de guerre interethnique, d’une guerre tribale de plus. Je pense que la reconnaissance du génocide, le fait que la Chambre d’appel ait dit que c’est un fait de notoriété publique, je pense que cette reconnaissance est une consolation pour les victimes et une promesse d’avenir pour les jeunes générations.

Je voudrais aussi souligner, nous l’avons aussi dit ce matin, que les parties civiles n’avaient pas de place dans la procédure. C’est vrai. Mais beaucoup de témoins viennent du Rwanda. Parmi ces témoins, il y a les survivants, il y a d’autres, il y a même les condamnés, toute la société civile rwandaise est représentée au sein de témoins qui viennent témoigner.

Je voudrais aussi rebondir su l’anecdote de Madame la Juge Arrey quand elle a dit : le témoin qui dit à l’avocat : « Est-ce que vous étiez là ? » En fait, il faut interpréter cette question. Le témoin qui arrive devant les Juges, c’est une occasion unique pour lui de raconter son histoire, de raconter l’histoire de ses voisins, de raconter l’histoire du génocide. C’est important. Moralement, c’est important pour ces témoins qui viennent témoigner devant les Juges. En témoignant devant les Juges, ils ont l’occasion de raconter l’histoire du génocide, ce qu’ils ont vécu personnellement, ce que leurs amis ont vécu, ce que les voisins ont vécu. Pour moi, quand ce témoin rentre sur la colline, il se sent apaisé. Cela participe à l’apaisement de cette société dont le tissu social a été déchiré par le génocide.

Et vous avez remarqué, Mesdames, Messieurs les Juges, que les témoins, surtout les survivants, n’acceptent pas qu’on les interrompe parce qu’ils ont envie de raconter leur histoire.

Ce Tribunal a donc été une occasion pour beaucoup de survivants et pour d’autres témoins du génocide, de raconter cette histoire. Ceci participe à cette réconciliation nationale.

Je voudrais enfin dire un petit mot sur les critiques de l’histoire. Les politiciens écrivent l’histoire. Les historiens écrivent l’histoire. Je n’ai pas de compétence là dessus, mais je pense que la vraie histoire du génocide sera écrite par les témoins qui ont défilé devant ce Tribunal, qu’ils soient de la poursuite ou de la défense.
Tous ces témoins qui ont été crus crédibles par les Juges, pour moi, ce sont eux les vrais historiens de l’histoire du génocide. La mission reviendra aux historiens, justement, d’écrire la vraie histoire du génocide, celle qui a été racontée par des témoins trouvés crédibles par les juges. Pour moi, cela va aussi participer à la réconciliation nationale.

Bien sûr, je ne suis pas un optimiste béat, la justice n’est pas une panacée dans un pays qui a connu un crime de masse comme le Rwanda. Mais c’est un palier, c’est une étape. Le reste appartient aux hommes politiques, aux académiques, à la société civile de continuer de bâtir sur cet escalier qui a été posé par la justice.

A. GARAPON

Merci beaucoup, François-Xavier, pour cette contribution qui, effectivement, nous propulse tous dans l’avenir ou dans l’avenir long, celui de nos enfants et celui de cette histoire qui reste à écrire. Etant ces cinquante dernières années nous ont appris, c’est que l’histoire n’a jamais fini de s’écrire. Nous sommes dans un processus de réinterprétation infini qui ne s’arrête pas.

Alors, Mohamed Othman a demandé la parole.