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contribution 38 - KHAN Khalida Rachid

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Place des victimes dans la procédure - Témoins - Longueur des procédures

Judge Khalida Rachida KHAN

version traduite

Je vous remercie.

Je commencerais par vous adresser mes salutations, Monsieur le Président, Monsieur le Président du Tribunal, Messieurs les Juges, le Représentant du Procureur et tous les autres participants.

Avant de présenter mon exposé, je voudrais faire une observation très brève sur ce qu’ont dit Mesdames Florida Mukeshimana et Aïcha Condé. Vous savez, lorsque nous sommes sur le siège en Chambre, nous sommes très attentifs à la situation des témoins, surtout des témoins qui sont des victimes. Nous ne pouvons pas permettre au Procureur de poser des questions qui pourraient raviver le traumatisme du témoin ; nous ne pouvons pas permettre non plus à la Défense de contre-interroger le témoin au-delà des limites permises dans le contre-interrogatoire.

Dans certains cas — surtout en ce qui me concerne —, nous avons dû suspendre la procédure pour permettre au témoin d’aller retrouver ses esprits. Et cela, nous l’avons appliqué à toutes les parties devant la Chambre. Nous sommes préoccupés par la situation des témoins, notamment les témoins qui sont des victimes.

Je passe maintenant à mon exposé.

C’est vraiment un honneur pour moi d’avoir à présenter mon point de vue à cette Auguste assemblée. En m’inspirant du titre, déjà, « Arusha, modèle ou contre modèle pour les tribunaux internationaux », j’ai décidé de centrer mon propos sur l’examen de certains points forts et de certains points faibles du modèle d’Arusha pour vous permettre de tirer vous-même vos propres conclusions quant à savoir si, oui ou non, le Tribunal pour le Rwanda est un modèle ou un contre-modèle.
Pour présenter certaines de ces forces et de ces faiblesses, je vais m’appuyer essentiellement sur mon expérience personnelle en tant que Présidente de certaines Chambres au niveau du Tribunal, ainsi que sur mon expérience dans les tribunaux de chez moi.

Je voudrais parler de certaines affaires examinées devant le TPIR pour étayer ces forces et ces faiblesses. Je suis arrivée au TPIR en août 2003, et depuis lors, j’ai été associée à plusieurs procès devant ce Tribunal : dans la présentation de sa cause par le Procureur dans l’affaire Muhimana, j’ai également suivi la présentation de la thèse dans Ndindabahizi, toutes ces affaires étaient des affaires à accusé unique. Plus récemment, j’ai présidé certaines affaires pour lesquelles les jugements sont en instance ou pour lesquelles les procès sont encore en cours.

Très généralement, nous avons suivi l’affaire Casimir Bizimungu, qui est appelée Gouvernement II, ce procès concernant des Ministres du gouvernement intérimaire du 9 avril 1994. Les jugements vont être rendus bientôt dans ces affaires.

Ensuite il y a Le Procureur c. Nshogoza, c’est un procès à accusé unique, il s’agissait d’un cas d’outrage à la Cour, et le jugement a été rendu le 2 juillet.

Je présidais Le Procureur c. Dominique Ntawukulilyayo, et la session s’est terminée vers la fin de mai 2009.

En plus de ces procès, j’ai participé également à la phase de mise en état préalable au procès dans un certain nombre d’affaires. Il y a eu des cas où le Procureur a demandé le transfert de certaines affaires aux juridictions nationales.

En plus de mes fonctions judiciaires, j’ai accompli des tâches concernant mon rôle de vice-présidente du Tribunal. Par conséquent, je vais utiliser toutes ces expériences pour parler, comme je l’ai dit, de certaines forces et de certaines faiblesses du Tribunal, telles que je les ai vécues à Arusha.

Je parle d’abord des forces ou des points forts du modèle d’Arusha.

Le premier élément à cet égard, c’est, si vous voulez, la légitimité internationale. Je crois que nous pouvons scinder ceci en plusieurs sections : premièrement, les tribunaux ad hoc ou les tribunaux spéciaux qui ont été créés par résolution du Conseil de sécurité. Le Tribunal a été créé le 8 novembre 1994 par le Conseil de sécurité à travers sa Résolution 955.

Le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre 7 de la Charte a indiqué que le génocide et d’autres violations du droit international représentaient une menace à la paix internationale et à la sécurité internationale. Il a également été décidé de mettre fin à ces crimes et de traduire en justice les personnes responsables de la commission de ces crimes.

La Résolution 955 a également relevé la nécessité pour la coopération internationale, et il a été estimé que la création de tribunaux internationaux en réponse à la crise connue dans ce pays était des institutions qui étaient chargées de faire face aux atrocités commises et que la création de ces tribunaux permettrait de poursuivre en justice les personnes qui s’étaient réfugiées dans certains pays.

Cette décision a été prise 18 mois après l’adoption de la Résolution portant création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Dans ce cas, le Conseil de sécurité s’était également basé sur le chapitre 7 de la Charte des Nations Unies pour créer le TPIY.
On peut considérer que ce Tribunal répond au souci de mettre en place un système mixte comme on l’a fait dans le cas du Tribunal de Sierra Leone.

Deuxièmement, le caractère international ou, plutôt, le Statut et les documents ont été annexés à la résolution, conformément à l’Article 28 du Statut du Tribunal : les États sont invités à coopérer avec le TPIR pour mener des enquêtes et poursuivre en justice des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire, notamment cette coopération devait permettre de bénéficier d’une assistance dans la recherche et l’arrestation des fugitifs.

Le siège du Tribunal a été établi à Arusha, et cela représente également un cadre pour la coopération entre les États de l’Afrique de l’est pour aider à traduire en justice les personnes responsables du génocide commis au Rwanda.

Arusha a une importance historique par rapport aux événements qui ont conduit au génocide, étant donné que c’est le lieu même où des tentatives ont été faites pour tenter d’apporter une réponse à la crise au Rwanda, à travers ce qu’on a appelé « les Accords d’Arusha ».
Les juges internationaux et le personnel international au Tribunal viennent de toutes les régions du monde, ils sont tous de tradition civil law ou common law. Donc, cela permet de mettre en place un système judiciaire mixte de droit pénal international. Et au TPIR, nous avons des Juges qui viennent de toutes les régions du monde.

En vertu de l’Article 12 du Statut, les Juges permanents et les Juges ad litem du Tribunal doivent être des personnes ayant une bonne moralité, des personnes intègres et ayant la qualification nécessaire acquise dans les différents pays pour assumer des fonctions judiciaires élevées.

Les Juges permanents et les Juges ad litem sont élus par l’Assemblée générale sur la base d’une liste établie par le Conseil de sécurité. Les Juges, qui viennent de toutes les régions, participent à travers un processus à double sens : le Tribunal s’enrichit de l’expérience de ces Juges qui connaissent très bien les systèmes de droit pénal internes, et cela permet de mettre en place des systèmes pour respecter les normes internationales qui sont reconnues. J’étais Juge de Cour suprême au Peshawar, dans mon pays, pendant 12 ans et je crois que mon expérience a été utile dans mon travail au Tribunal international.

Pour parler des quelques éléments de ce que j’ai appelé la légitimité internationale, je voudrais mentionner certains aspects positifs du travail du Tribunal.

La deuxième force du TPIR, c’est sa contribution pour la cessation de l’impunité, et notamment la création d’un système réglementaire ou d’un système judiciaire pour aborder ces crimes. Le TPIR a toujours contribué et continue de contribuer au développement du droit pénal international, de la jurisprudence notamment, ainsi qu’à l’évaluation d’un cadre normatif pour l’examen des crimes et l’adoption de mesures punitives qui s’imposent.

Le TPIR a une jurisprudence très intéressante et très abondante qui comporte des éléments à caractère juridique en ce qui concerne le crime de génocide. Un certain nombre d’éléments dans la jurisprudence du TPIR permettront de développer le corpus du droit pénal international.

Donc, la contribution du TPIR au développement et sa jurisprudence sont très importantes. Par exemple, le premier jugement rendu par le TPIR en 1998 dans l’affaire Le Procureur c. Akayesu représente un jalon important dans le parcours du Tribunal.
Le Tribunal a également fourni et continue de fournir des éléments de jurisprudence pour l’interprétation des crimes, ainsi que des décisions interlocutoires concernant des questions de droit. La jurisprudence du Tribunal fournit également des éléments concernant l’importance qu’on peut accorder au rôle des responsables militaires ou politiques, comme dans le cas du Rwanda.

Pour abréger je vais parler maintenant des faiblesses du Tribunal.

La durée des procès, y compris les phases préliminaires et les facteurs qui s’ensuivent contribuent à l’allongement des procès. D’abord, la complexité de la procédure, y compris, notamment, le nombre de chefs d’accusation et de charges, le nombre de formes de responsabilité en ce qui concerne chaque chef d’accusation, le nombre de témoins appelés à la barre dans chaque affaire, le nombre de jours d’audience, le nombre de preuves documentaires, et notamment de pièces à conviction fournies, ainsi que les décisions interlocutoires dans les différentes affaires, tout cela allonge la procédure.

Pour illustrer mon propos, j’ai mentionné que j’ai présidé un procès à accusés multiples que l’on a appelé Gouvernement II. Ce procès a commencé en novembre 2003 et s’est achevé en juin 2008. Durant cette période, la Chambre a siégé pendant 399 jours. Et, pendant ces jours d’audience, la Chambre a entendu 171 témoins, et sur les 171 témoins, il y a eu quelques témoins experts. La Chambre a rendu 300 décisions orales et écrites durant le procès.

J’en viens maintenant à la complexité de la procédure. Les affaires à accusés multiples ont pris beaucoup plus de temps que les procès à accusé unique.

J.P. SOREL

Madame la Vice-présidente, vous souhaitez peut-être synthétiser les faiblesses que vous évoquiez sur le Tribunal ? Je suis désolé, c’est parce que, malheureusement, nous sommes pris par le temps.

Judge KHAN

Je vais conclure pour dire que les forces et les faiblesses du TPIR sont devenues apparentes dans notre propre expérience.
Je vous remercie.

J.P. SOREL

Merci, Madame la Vice-présidente, et vraiment, toutes mes excuses pour vous avoir quelque peu coupée. Je pense que vous pourrez remettre votre texte écrit et qu’il pourra être distribué dans le transcript et, de cette manière sans doute, nous connaîtrons l’ensemble de vos remarques.

Peut-être Madame la Juge Arrey, Monsieur le Juge Short, je ne sais pas. Vous intervenez peut-être pour synthétiser également vos propos.