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contribution 39 - SHORT Emile Francis

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Civil law vs Common law - Place des victimes dans la procédure - Témoins - Protection vs Publicité

Judge ARREY

version traduite

Je vous remercie, Monsieur le Président.

Je voulais seulement dire qu’après l’affaire Akayesu, l’affaire des Médias et l’affaire du Premier Ministre Kambanda, en décembre l’année dernière, le Tribunal a abordé un autre problème, parce qu’on a considéré que la musique était une cause de génocide.

En effet, en examinant l’affaire Bikindi, la Chambre a estimé que les chansons composées par Bikindi étaient utilisées lors du génocide entre avril et juin, par la RTLM, avec des commentaires faits par des journalistes, et qu’à cause de cela, les paroles de ses chansons ont été une source d’incitation du public à commettre le génocide, en même temps que les commentaires faits par les journalistes. Donc, le Tribunal a estimé que la musique pouvait être considérée comme un moyen de commission du crime de génocide, même si Bikindi lui-même n’a pas été déclaré coupable pour cette cause précise. Il se trouvait à l’extérieur du pays pendant la période du génocide et il a indiqué devant la Chambre qu’il n’avait pas autorisé la RTLM à utiliser ses chansons.

En parlant d’enquêtes, je voulais dire à ce sujet que la manière dont l’entretien avec les témoins et l’interrogatoire des témoins sont effectués peut avoir une incidence sur les procès. Monsieur Kwende nous a dit qu’au Rwanda, on répond uniquement à la question qui est posée, le témoin ne va pas au-delà. Lorsque les enquêteurs vont vers les témoins, les questions sont posées concernant des personnes particulières et des faits particuliers et, la fois suivante, lorsqu’on pose des questions à ces témoins concernant d’autres personnes sur les mêmes faits, que se passe-t-il ? Eh bien, lorsque les témoins se présentent devant la Chambre, lorsqu’ils se présentent à la barre lors du procès, le Conseil de la défense cherche à les contredire en leur opposant des déclarations faites par ces témoins dans d’autres procès pour montrer que, dans cette précédente déclaration, on n’avait pas mentionné tel ou tel accusé.

Cela nécessite beaucoup de temps devant la Chambre. On cherche à produire des documents, et c’est un processus assez long. Alors que si l’enquêteur avait, au départ, demandé au témoin tout simplement de relater les faits sans lui dire de parler d’une personne particulière, le témoin aurait eu l’occasion de dire tout ce qu’il savait sur cette affaire, en citant peut-être tous les acteurs au lieu de répondre aux questions sur une seule personne.

Là encore, nous venons d’entendre parler des faux témoignages et je dois avouer qu’effectivement, nous suivons des contrevérités sous toutes les formes devant la Chambre. Des gens essaient d’éviter de répondre aux questions ; dans certains cas, le témoin, tout simplement, ne dit pas la vérité ; dans d’autres cas, le témoin cherche à transfigurer certaines déclarations précédentes en disant des choses qui sont en contradiction avec ce qu’il avait dit au départ. Que se passe-t-il pour ces personnes ? Je crois que certains auteurs de ces faux témoignages ont été reconnus coupables par le Tribunal. Mais je dois vous dire que si le Tribunal doit suivre les affaires de faux témoignage, je crois que nous n’aurons plus de témoins devant ce Tribunal, beaucoup s’abstiendraient de se présenter devant ce Tribunal.
Lorsque nous parlons également de protection des témoins, un journaliste a dit ici que la justice ne doit pas être simplement rendue, il faudrait qu’on la voie en train d’être rendue. Oui, cela est fait. Nous sommes dans une situation où les témoins ne sont pas sûrs de leur sécurité et refusent de se présenter devant le Tribunal s’ils ne sont pas protégés. Et sans les témoins, il n’y aurait pas de procès, et les journalistes n’auraient pas de matière pour leurs reportages de toute façon.

Je pensais qu’il fallait que nous puissions parler, peut-être, du cas des fugitifs, c’est-à-dire de ceux qui sont encore en fuite, comme le responsable financier du génocide — si je puis m’exprimer ainsi —, c’est-à-dire Kabuga. Et je pense que, dans le cadre de notre conférence, ici, il faudrait chercher à savoir si on ne peut pas envisager de juger de telles personnes par contumace, et si ces personnes se présentent devant la justice plus tard, eh bien, qu’elles aient la possibilité de demander la révision de leur procès, si elles ont été jugées par contumace. Cela pourrait nous permettre d’avancer. Et je crois que devant d’autres juridictions, les procès par contumace existent.

Nous avons également parlé de nos antécédents culturels, de notre addiction juridique, que ce soit la civil law ou la common law. Vous savez, je viens d’un pays où j’ai été formée dans le système de la common law, moi, personnellement, et je ne pense pas qu’on devrait chercher, par exemple, à parler du caractère ou de la moralité d’un témoin sans fondement.

Lorsqu’on vous présente devant une Chambre et qu’on dit que vous êtes accusé d’avoir commis le viol, il faudrait un fondement à cette accusation. Mais je crois qu’il y a des écoles où vous êtes libre de dire tout ce que vous voulez en contre-interrogatoire. Moi, je dis non. Nous avons malheureusement ces différences quant aux approches de la procédure devant les Chambres.

Certains d’entre nous ont été formés de manière à ne pas intervenir lorsque le témoin parle. Mais dans d’autres écoles, on vous dit : « Vous pouvez interrompre le témoin à tout moment pour lui poser des questions », et je disais donc qu’il y a des différences entre nous, notamment en ce qui concerne la gestion de la procédure. Certains avocats, au lieu de faire le contre-interrogatoire, comme on s’y attendrait, vont faire des déclarations ou des témoignages, ils se mettent carrément à la place de leur client ou de leurs témoins. Je dois dire que je n’ai pas de problème quant aux avocats de la défense ou de la poursuite qui veulent fournir des preuves, mais à ce moment, qu’ils se mettent à la barre, à la place du témoin, pour le faire.

C’est vrai, parfois, nous avons également des situations qui créent la bonne humeur. Lorsqu’on parle d’égalité des armes, est-ce que nous devons appliquer cet outil ou cette base sur le temps du témoignage ? Si le témoin à charge parle pendant une heure, est-ce que, pour respecter l’égalité des armes, on doit dire au témoin à décharge de parler pendant une heure ? Non. La Défense, généralement, bénéficie d’un temps d’intervention qui est le double de celui du témoin du Procureur.

Donc, bien qu’il y ait le principe d’égalité des armes, non, nous n’avons pas cette égalité et même, nous ne pouvons pas parler d’égalité des ressources, parce que le Procureur a des ressources à sa disposition et est basé au niveau du Tribunal, mais les Conseils de la défense sont basés un peu partout dans le monde et ont, d’ailleurs, encore des engagements dans leur pays d’origine en plus de leurs tâches au niveau du Tribunal.

Donc, généralement, ces avocats se présentent lorsqu’on a déjà programmé les activités au niveau du Tribunal et certains demandent qu’on modifie ces calendriers pour tenir compte de leurs besoins. Ce sont des contraintes. J’ai voulu mentionner tout cela.
Et pour créer cette bonne humeur, disons qu’un avocat pose une question et un autre répond en disant : « Je suis surpris qu’on pose une telle question. » Une autre question est posée par un avocat et le témoin répond : « Est-ce qu’il me prend pour un ordinateur, je ne pourrai pas répondre à cette vitesse. » ; et d’autres témoins disent : « Si j’avais su qu’on me poserait cette question un jour, j’aurais écrit dans mon agenda la réponse pour vous la donner. »

De la même de façon, le Conseil de la défense dit, par exemple, au témoin : « Je vous suggère que vous n’étiez pas présent là-bas. » Et le témoin de lui répondre : « Puisque vous, vous y étiez, dites-nous ce qui s’est passé là-bas. »

Il y a un autre cas où le Conseil commence par : « Est-ce que vous... Je retire la question. Est-ce que vous avez... Je renonce à la question. » Et pendant qu’on attend, on dit au témoin : « Répondez à la question », et le témoin dit maintenant au Conseil : « Je retire ma réponse, posez votre question. »

(Rires dans l’assemblée)

J.P. SOREL

Merci beaucoup, Madame, pour ce témoignage haut en couleurs, avec quelques exemples, mais aussi des choses évidemment très sérieuses comme la question du jugement par contumace. C’est vrai qu’une juridiction internationale vient effectivement d’être créée — le Tribunal spécial pour le Liban —, avec la possibilité de juger par contumace. Mais si j’avais un peu d’humour, je dirais que, peut-être, le problème sera qu’ils ne jugeront « que » par contumace. Mais c’est un autre problème.

Le Juge Short voulait peut-être dire quelque chose. Je ne ferai pas un mauvais jeu de mots en disant qu’il faudrait être bref !